Dimanche 21 octobre 2018

Passer du service pour soi ou pour son clan au don de soi dans le service pour le bien de tous.

Comment l’enfant se construit-il, sinon par un élan vital qui le pousse à grandir, à entrer en compétition pour se dépasser. Cette traversée de l’enfance pour grandir et devenir adulte est légitime mais nécessite de se comparer aux autres pour entrer en compétition et se dépasser.

Se dépasser pour exister pour trouver sa place laisse des traces comme des dommages collatéraux. Ce sont nos blessures qui parfois peuvent nous désorienter. Nous pouvons avoir en partie échoué dans une compétition qui nous a mis sur la touche, nous pouvons avoir été humiliés, désavoués, parfois piétinés et hélas avoir été détruits dans certaines de nos capacités. Alors nous élaborons de savantes techniques de compensation : velléités de puissance, d’avoir, enfermements en notre clan ou notre tribu et tant autres enfermements autour de notre ego. Cela ne nous enlève pas notre générosité, notre altruisme mais nous avons des tendances à nous mettre au service de nous-mêmes, perdant de vue le bien commun, en fait nous nous sommes mis au service et à la satisfaction de notre propre ego ou celui de notre clan. Toutes les guerres, toutes les violences, toutes les atrocités du monde ont pour racines ces tendances qui finissent par gouverner le monde.

Jésus révèle à ses apôtres une autre manière de faire. A la question de Jacques et Jean, Jésus répond sans repousser leur demande comme indue. Elle le serait s’ils avaient aperçu la vraie portée de leur question. Jésus leur dit qu’ils ne savent pas ce qu’ils demandent. « Pouvez vous boire à la coupe que je vais boire ? Recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé. » On a ici un écho de la prière de Jésus à Gethsémani. « Père, s’il est possible que cette coupe s’éloigne de moi. » Manière de dire je ne peux pas faire l’impasse sur ce chemin de souffrances et de mort que les hommes dressent devant moi mais par amour j’accepte de visiter toutes souffrances passées, présentes et à venir de tout homme, tout enfant bafoués, humiliés. « Voulez suivre ce chemin à ma suite ? » Jacques et Jean disent qu’ils le peuvent. Ils le pourrons mais non sans un passage que seul l’Esprit Saint reçu à la Pentecôte leur permettra de faire.

Ce passage, c’est de passer du service pour soi ou pour son clan au service du don de soi pour les autres.

Jésus part pour le Golgotha. C’est donc cette grande montée de Jésus vers Jérusalem qui va délivrer le monde du pouvoir de Satan. Le règne de Dieu c’est ce monde débarrassé de toutes les forces de haines, de violence et de mort.

Trois fois, Jésus a annoncé sa Passion et sa Résurrection, c’est l’annonce d’une victoire, celle du christ qui livre sur la croix une puissance de guérison et de libération qui change la face du monde.
L’épure de notre foi, c’est Christ est vainqueur, dans sa mort et sa résurrection, il a vaincu la mort.

Comment prendre au sérieux ce don du Christ qui nous livre l’Esprit ?
Tout d’abord régler notre vie sur l’amour du Christ. Tout pouvoir qui se trompe d’objet et de manière est celui qui ne tient pas compte de l’autre. Il se trompe parce qu’il n’est pas réglé et contrôlé par l’amour tel que le Christ nous l‘a révélé. Jésus après avoir enseigné aux apôtres qu’ils doivent privilégier le service à la domination de l’autre leur parle de son propre service : donner sa vie en rançon pour la multitude. Par là, la souffrance chrétienne authentique (que ce soit la souffrance spirituelle, la maladie, la torture, le martyr subis par amour du Christ) est incluse dans la Passion rédemptrice du Christ.

Attention au contre-sens sur le mot rançon. Le mot grec qui a été traduit par rançon est dérivé d’un verbe qui signifie délier, détacher, délivrer. En fait jésus dit aux apôtres je dois consacrer ma vie à cette œuvre divine de libération de l’humanité mais il dit aussi que cette œuvre de libération doit passer par notre propre cœur. C’est chacun de nos cœurs que Christ visite dans sa Passion et sa Résurrection. Il y livre aussi l’Esprit pour que nous puissions aimer sans retour sur soi, sans amertume qui viendrait du fait que les autres ne font pas les choses comme il faut, sans retour sur soi ou nous attendons un retour sur investissement. Faites vous pardonner le pain que vous donnez. (Saint Vincent de Paul).

C’est vraiment le sens de l’Eucharistie. Le don de soi au Père par le Christ. Le retour sur investissement c’est la joie de donner. Faisons l’expérience de cette joie, goûtons la et décidons de mettre le centre de notre action sur cette joie du don.

Père Bernard-Marie Geffroy

Dimanche 16 septembre 2018

Pierre et son attente messianique

« Au dire des gens, qui suis-je ? » Question de Jésus posée aux apôtres qui reviennent de mission.

Quand Jésus parlait aux foules, le cœur de beaucoup s’était ouvert et le désir d’harmonie, de cohérence, de beauté, de paix et d’amour s’était ravivé. Ce Rabbi qui les avait rassemblé avait fait des guérisons, des libérations. Il avait multiplié les pains et les poissons. Ne serait-il pas « Jean le Baptiste ; Élie ; un des prophètes ?» A la question suivante de Jésus « Pour vous qui-suis je ? », Pierre, inspiré, répond « Tu es le Messie ! »
De quel Messie parle-t-il? Un Messie qui va inaugurer une terre nouvelle, des cieux nouveaux, un monde de paix où le lion cohabitera avec l’agneau et où l’enfant jouera sans danger sur le nid du cobra?

Jésus se nomme « Fils de l’homme » : cette expression sort tout droit du livre de Daniel, au chapitre 7 : « Je regardais dans les visions de la nuit, et voici que sur les nuées du ciel venait comme un Fils d’homme ; il arriva jusqu’au Vieillard, et on le fit approcher en sa présence. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera jamais détruite. » (Dn 7, 13-14).

Quand Jésus s’applique à lui-même ce titre de Fils de l’homme, il se présente donc comme celui qui prend la tête du peuple de Dieu. Il est bien le Messie qui vient établir le règne de Dieu sur la terre.

Pas question de souffrance dans tout cela ! Quelle idée ! Pierre a raison de s’insurger. Comme beaucoup de ses contemporains, il attendait un Messie-roi, triomphant, glorieux, puissant, et chassant une bonne fois du pays l’occupant romain. Alors ce qu’annonce Jésus est inacceptable, le Dieu tout-puissant ne peut pas laisser faire des choses pareilles! On pourrait presque intituler ce texte : « Le premier reniement de Pierre », premier refus de suivre le Messie dans la souffrance. Jésus affronte ce refus spontané de Pierre comme une véritable tentation pour lui-même et il le lui dit avec véhémence : « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Que nos vues soient spontanément « humaines », quoi de plus naturel ! Mais il nous faut laisser l’Esprit les transformer, parfois les bouleverser complètement, si nous voulons rester fidèles au plan de Dieu. Jésus réagit vivement, preuve qu’il doit livrer ici un véritable combat : « voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : Passe derrière moi, Satan ! »
Le titre de Satan (« l’obstacle ») dit bien quel est l’enjeu : comme le Serviteur d’Isaïe (première lecture), Jésus est résolu à « écouter » son Père, à se laisser instruire, et à accomplir jusqu’au bout sa mission, quitte à subir les outrages, les crachats, les coups.
« Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats. »

Car le plan de salut de Dieu ne s’accommode pas d’un Messie triomphant : pour que les hommes « parviennent à la connaissance de la vérité », comme dit Paul (1 Tm 2, 4), il faut qu’ils découvrent le Dieu de tendresse et de pardon, de miséricorde et de pitié ; cela ne se pourra pas dans des actes de puissance mais dans le don suprême de la vie du Fils : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15, 13). Et il invite à sa suite tous ses disciples de tous les temps.

Donner sa vie, c’est en quelque sorte la perdre.
Perdre sa vie, c’est quitter la superficialité de notre vie et entrer dans la profondeur de notre âme, là où le christ est vivant en nous, là où Il nous attend pour nous sauver. Si nous restons à la surface de nous-mêmes la rencontre se fera dans le tourbillon de nos vies psychiques où s’agitent tous nos mécanismes de défense, les troubles et les disfonctionnements et dans le choc de nos égoïsmes.
Où est l’ère messianique tant attendu, tant espéré? Dans notre cœur profond ! C’est le lieu de la nouvelle terre et du nouveau ciel. L’Esprit Saint qui a été livré dans notre cœur construit, consolide affermit en nous le monde messianique qu’il nous faut envisager comme monde intérieur ouvert sur le monde extérieur. Ce que le Seigneur fait en nous, nous peuple sacerdotal, c’est l’harmonie, la cohérence, un monde pacifié et pacifiant. Pas seulement pour notre salut mais pour le salut du monde.

Permettez moi un témoignage personnel. J’ai 20 ans. Je reprends connaissance, allongé sur l’asphalte, en moto. J’ai percuté de plein fouet une voiture. Je suis blessé gravement et j’ai peur. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé? L’angoisse de la mort qui existe chez tout homme même si nous savons l’enfouir, la contourner, la refouler, peut ressurgir violemment à l’occasion de certains traumatismes. J’ai traversé une détresse abyssale juste avant d’être pris en charge à l’hôpital. Pas de réponse à cette angoisse, brute, à vivre seule puisque je m’étais éloigné de la foi. C’était 10 ans avant ma conversion. J’ai revécu cette angoisse de mort il y a maintenant un an et demi. Bronchite grave, obstruction des sinus, stress dû à un harcèlement au travail. Je suis réveillé brusquement privé d’air. L’angoisse de mort a ressurgi avec une très grande intensité. J’ai pris mon crucifix et je l’ai posé sur mon cœur. Non ce n’est pas un geste magique. C’est tout simplement me reconnecter à ma vie profonde. Combien d’Eucharisties et de sacrements de réconciliation depuis ma conversion, combien de moments d’intimité avec Dieu dans la prière du cœur, combien de rencontres dans le quasi sacrement du frère, combien d’intercession pour le monde qui souffre? La réponse du Christ à mon cri de détresse a été sensible. J’ai pu contacter la paix qu’il mettait au plus profond de mon cœur.

Dieu change le monde en passant par notre cœur.
Le lieu où Dieu travaille, c’est notre cœur et la visée, c’est notre salut et la vie éternelle et ce, dès ici bas.
Perdre sa vie pour la trouver, c’est renoncer à la vie superficielle pour acquérir la vie profonde.

« Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l’Evangile la sauvera. »

Père Bernard-Marie Geffroy

Dimanche 5 aout

Ce passage s’inscrit dans un ensemble plus vaste, celui de la section des pains, le chapitre 6 de St Jean qui va nous occuper tout ce mois d’août. Si l’Eglise interrompt la lecture de Mathieu pour insérer la lecture de ce chapitre 6 de St Jean, c’est bien que, pour elle, l’Eucharistie est sommet et source de la vie chrétienne. Pour reprendre l’adage bien connu, l’Eglise fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Eglise.

Le passage du texte d’évangile de ce dimanche fait suite aux récits de la multiplication des pains, de la dispersion de la communauté rassemblée autour de Jésus qui soudainement renvoie la foule, qui met les disciples dans la barque pour l’autre rive et qui se retire seul dans la montagne pour prier son Père. Sur le lac une grande tempête se lève et Jésus instantanément les rejoint en marchant sur les eaux. Jésus va surmonter surnaturellement la distance qui le sépare de ses disciples pour leur donner sa présence. Jésus révèle comment il va surmonter la mort, la séparation: sa mort, la mort des proches, notre propre mort, nos petites morts de tous les jours. Comment se passer de la présence de Jésus, comment se passer de la présence de tout être que nous avons aimé et qui est parti? Comment affronter notre propre mort, et toutes les petites morts de tous les jours? En marchant sur les eaux, Jésus manifeste sa victoire sur le mal, sur la mort dont les flots en furie sont le symbole. Christ piétine, domine les eaux de la mort pour donner sa présence. C’est ce qu’il fera dans sa Passion, sa Résurrection, son ascension et dans le don de l’Esprit Saint.

Cette foule rassemblée autour de Jésus le cherche. Ne serait-il pas le Messie? Quand il parlait, leur coeur s’était ouvert et le désir d’harmonie, de cohérence, de beauté, de paix et d’amour s’était réanimé. Ce Rabbi qui les avait rassemblé avait fait des guérisons, des libérations. Il avait multiplié les pains et les poissons. Ne serait-il pas le Messie? Ils avaient voulu alors le faire roi. C’est la raison de la dispersion provoquée par Jésus.
Quel Messie attendent-ils? Un Messie qui va combler leurs biens matériels, chasser les Romains, installer un monde de paix où le lion cohabitera avec l’agneau et où l’enfant jouera sans danger sur le nid du cobra? La foule a été touchée mais Jésus se méfie de leur vision et attente messianiques. Jésus n’est pas un Messie descendu du ciel pour tout arranger instantanément sur la terre. Certes, il est le Messie et il le confirme dans le passage de ce dimanche. Il est le fils de l’homme, dit-il, et Dieu a mis son empreinte sur lui. Il il est également l’envoyé. Ce sont deux titres messianiques bien connus dans l’Ecriture.
Les interlocuteurs de Jésus ont un passage à faire. Ce que Jésus va faire, c’est de les préparer à ce passage et c’est ce qu’il a anticipé avec les disciples.
La présence de Jésus, juste après la multiplication des pains et marchant sur les eaux est présence eucharistique non seulement dans l’intimité paisible et joyeuse autour du pain partagé mais aussi dans l’épreuve, dans l’angoisse de la mort. Il apaisera non seulement la tempête extérieure mais la tempête intérieure de la peur et de l’angoisse de la mort.
C’est dans la profondeur de notre coeur que Jésus, maintenant, nous fait vivre cette intimité avec Lui comme les prémisses de ce monde messianique vivant en nous et entre nous. Si nous restons à la surface de nous-mêmes la rencontre se fera dans le tourbillon de nos vies psychiques où s’agitent tous nos mécanismes de défense, les troubles et les disfonctionnements et dans le choc de nos égoïsmes.

Où est l’ère messianique tant attendu, tant espéré? Dans notre coeur profond. C’est le lieu de la nouvelle terre et du nouveau ciel. L’Esprit Saint qui a été livré dans notre coeur construit, consolide affermit en nous le monde messianique qu’il nous faut envisager comme monde intérieur ouvert sur le monde. Ce que le Seigneur fait en nous, nous peuple sacerdotal, c’est l’harmonie, la cohérence, un monde pacifié et pacifiant. Pas seulement pour notre salut mais pour le salut du monde.

Permettez moi un témoignage personnel. J’ai 20 ans. Je suis allongé sur l’asphalte, un accident de moto vient de se produire. Je suis blessé gravement et j’ai peur. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé? L’angoisse de la mort qui existe chez tout homme même si nous savons l’enfouir, la contourner, la refouler, peut ressurgir violemment à l’occasion de certains traumatismes. J’ai traversé une détresse abyssale juste avant d’être pris en charge à l’hôpital. Pas de réponse à cette angoisse, brute, à vivre seule puisque je m’étais éloigné de la foi. C’était 10 ans avant ma conversion. J’ai revécu cette angoisse de mort il y a maintenant un an et demi. Bronchite grave, obstruction des sinus, stress dû à un harcèlement au travail. Je suis réveillé brusquement privé d’air. L’angoisse de mort a ressurgi avec une très grande intensité. J’ai pris mon crucifix et je l’ai posé sur mon coeur. Non ce n’est pas un geste magique. C’est tout simplement me reconnecter à ma vie profonde. Combien d’Eucharisties et de sacrements de réconciliation depuis ma conversion, combien de moments d’intimité avec Dieu dans la prière du coeur, combien de rencontres dans le quasi sacrement du frère, combien d’intercession pour le monde qui souffre? Etc…etc… La réponse du Christ à mon cri de détresse a été sensible. J’ai pu contacter la paix qu’il mettait au plus profond de mon coeur.

Dieu change le monde en passant par notre coeur.

Le lieu où Dieu travaille, c’est notre coeur et la visée, c’est ce qu’annonce Jésus, la vie éternelle.
« Travaillez non pour la nourriture qui se perd mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle ».

Père Bernard-Marie Geffroy

Dimanche 29 juillet 2018

Multiplication des pains chez St Jean

Pourquoi tant de monde, pourquoi cette fascination de la foule pour ce prédicateur, guérisseur que l’on en oublie la faim et qu’on ne se soucie que de l’instant présent ? Jésus apporte quelque chose de nouveau. Sa parole est accompagnée de gestes de puissance : il guérit et donne un commencement de réponse à la question du mal. Comment ? C’est comme si il proposait à ce monde marqué par la violence et la souffrance une alternative, comme si il invitait la foule à entrer dans un monde harmonieux et cohérent, l’ère messianique où le lion vit en harmonie avec l’agneau, où l’enfant joue sur le nid du cobra sans danger, invitation donc à entrer de plein pied dans l’espérance messianique.

L’homme suffisamment en bonne santé cherche la cohérence, l’harmonie et la beauté. La misère du monde vient contredire, heurter, blesser ce vrai désir. Par son enseignement, par ses guérisons, par le miracle de la multiplication des pains, Jésus va réanimer, vivifier le désir messianique : Dieu va enfin libérer le monde de sa misère.
Par son enseignement, ses guérisons et le miracle des pains, par son intimité avec la foule, Jésus annonce un monde pacifié, vainqueur du mal. C’est comme un oasis de paix et d’amour dans un monde violent et sans merci. C’est l’expérience du paradis où peuvent se vivre cohérence, bonté, beauté et harmonie. Plus qu’un lieu, le paradis, c’est ce qui se passe entre nous quand chacun est situé à sa juste place et que circule entre nous la communion dont la Source est Dieu lui-même.

L’Esprit Saint est le maître d’œuvre de la communion. Toute communion se construit à partir d’un désir. L’Esprit Saint agit dans notre désir d’harmonie et de cohérence. Il agit aussi dans un autre désir, celui du bien de l’autre. C’est le cas des disciples qui se préoccupe pour cette foule et qui se demandent comment la nourrir. C’est le cas de ce garçon qui accepte de partager ses cinq pains et ces deux petits poissons.

Jean est le seul évangéliste qui donne la raison pour laquelle Jésus met fin sans ménagement à ce bonheur partagé avec lui. Il renvoie les foules, met les apôtres dans une barque et se retire seul sur la montagne. Dans le cœur à cœur avec son Père, il va contacter un autre désir celui de son Père. Pourquoi cette urgence de mettre fin d’une façn si abrupte à cette communion ? La foule a un autre déplacement à faire celui de l’humain au divin. Elle confond ère messianique terrestre et ère messianique céleste où terre et ciel se rencontrent. Elle veut faire roi Jésus pour qu’il chasse les romains, qu’il erradique toute souffrance, toute injustice dès maintenant.
À la vue du signe que Jésus avait accompli,
les gens disaient :
« C’est vraiment lui le Prophète annoncé,
celui qui vient dans le monde. »
Mais Jésus savait qu’ils allaient l’enlever
pour faire de lui leur roi ;
alors de nouveau il se retira dans la montagne,
lui seul.

Pour Jésus poser l’acte de puissance de la multiplication des pains, c’est déjà mettre une pierre d’attente sur une autre Présence, c’est déjà faire le lien entre cette intimité que la foule partage avec lui et cette nourriture qui n’est pas seulement matérielle. Jésus déjà livre sa Présence, donne sa vie en nourriture à cette foule. L’acte de puissance de Jésus qui multiplie les pains prolonge et approfondit l’intimité avec le Christ et anticipe la présence eucharistique.

Un autre déplacement sera nécessaire pour affronter la question de la mort, et en particulier celle du Christ. Ce passage sera proposé aux disciples. Il leur faut comprendre comment Dieu inaugurera ce monde nouveau, par la croix. C’est le sens du récit qui suit immédiatement le texte de la multiplication des pains
Jésus est en prière sur la montagne. Les disciples sont dans la barque. La tempête sévit. Instantanément, il est près des disciples, près de la barque, au milieu du lac. Il a surmonté surnaturellement la distance pour donner à ses disciples sa présence. Jésus révèle aux disciples comment il va surmonter la séparation qui se prépare, la séparation que la mort de Jésus provoquera. Comment se passer de la présence de Jésus, cette présence absolument nécessaire, vitale. Jésus va révéler comment cette apparente rupture sera surmontée. En marchant sur les eaux, Jésus manifeste sa victoire sur le mal et la mort, dont la mer est le symbole. Ce qui est préfiguré ici, c’est la puissance de la résurrection. Christ domine, piétine les eaux de la mort pour donner sa présence. Par la multiplication des pains, par l’Eucharistie, Christ ressuscité va continuer à donner sa présence.
C’est dans la profondeur de notre cœur que maintenant Jésus nous fait vivre cette intimité avec Lui comme les prémisses de ce monde messianique déjà vivant en nous et entre nous.
Il nous faut plonger en nous pour rejoindre ce monde messianique.
Si nous restons à la surface de nous-mêmes, la rencontre se fera dans le tourbillon de nos vies psychiques où s’agitent tous les mécanismes de défense, les troubles et les dysfonctionnements, et dans le choc de nos égoïsmes.
Si nous restons à la surface de nous-mêmes, notre volonté se fera volontariste comme si tout dépendait de nous. Certes, notre volonté est moteur dans la construction de la communion, mais livrée à elle-même, elle peine pour nous ouvrir à l’imprévu de Dieu.
Pour vivre le passage de l’humain au divin, notre volonté doit s’exercer et décider de s’abandonner à la volonté de Dieu. En Dieu, la volonté est habitée de la divine douceur et devient douce. « Elle veut sans vouloir, elle laisse aller, elle accepte la lassitude, elle ne se raidit pas contre l’inévitable. Mais elle tient le cap, imperturbable, elle maintient l’adhésion secrète à la vie, à l’amour, aux choses bonnes, à ce qui va venir et qu’il faudra vivre, et vivre bien.»

Comment faire ces passages?
Je peux serrer les poings et les machoires et tel un super-héros m’accueillir come maître d’œuvre de ces passages. Or, je ne suis pas la Source, c’est le Christ qui est la Source. Dieu nous emmène au delà de nous-mêmes, pour puiser à la Source d’eau vive. Et si je m’abreuve à cette Source, je dois aussi décider d’être source pour l’autre. Nous somme invités à découvrir cette Source présente dans l’Eucharistie, d’en accueillir la vitalité qui m’invite à sortir de moi-même et à rencontrer l’autre avec justesse. Il m’est alors possible de devenir Eucharistie pour l’autre. La communion entre nous se reçoit de l’Esprit Saint, maître d’œuvre de cette communion. Travail de l’Esprit qui se joint à notre esprit. Travail de l’Esprit qui, des grains de blé que nous formons, fait de nous un seul pain.

L’épreuve ou le petit livre de la divine douceur, Maurice BELLET, Desclée de Brouwer 1992 page 32

Dimanche 15 juillet 2018

Envoi des 12

Métier : prophète de père en fils, installé à Béthel depuis des générations. Je prédis l’avenir pour que l’on s’y prépare. Amazias veut chasser Amos qui ne correspond pas au profil de poste.
La réponse d’Amos au prêtre Amazias est limpide et clarifie ce qu’est un prophète :
« Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit :‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ »
Le « va comme prophète » du Seigneur est un appel.
Amos a été saisi par Dieu derrière son troupeau : pas de plan de carrière, juste un appel à une mission pour laquelle il est au prime abord à contre emploi :
Un homme du sud envoyé vers le Nord, un paysan envoyé dans un sanctuaire royal, une prédication qui prend le peuple et les autorités religieuses à contre-pied.
Le prophète n’est pas celui qui prédit l’avenir mais celui qui est saisi par Dieu, qui vit de sa présence et voit avec le regard de Dieu dans les signes des temps ce qui va advenir si le dessein bienveillant de l’amour de Dieu n’est pas accueilli.

Jésus envoie en mission les apôtres. Il les met en situation d’annoncer la Bonne Nouvelle. Deux fortes insistances de Jésus à ses apôtres sur deux attitudes intérieures fondamentales pour la mission.
– Cheminer léger en lâchant certains de nos appuis, de notre sécurité matérielle, en renonçant à certaines de nos tendances, au désir de s’installer, de travailler seul.
– Christ envoie par deux par deux au devant de lui. C’est une tradition très ancienne de l’envoi mais aussi la nécessité d’une complémentarité.
Que dire ?
« Ils proclamèrent qu’il fallait se convertir. » La prédication se situe autour de la question de la conversion. Toute parole doit concourir à la conversion du cœur
Que faire ?
Libérer et guérir !
« Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient. »

L’évangile de dimanche dernier, mettait en évidence une autre réalité de la mission : le rejet. « Nul n’est prophète en son pays ». Le texte d’aujourd’hui prépare les apôtres à cette réalité du refus du dessein bienveillant de l’amour de Dieu. En cas d’échec, secouer la poussière de ses pieds quand on n’est pas reçu. C’est à dire laisser libre la personne qui n’est pas prête.
Déjà le Golgotha se profile au bout de la mission. Comme dimanche dernier, se pose douloureusement le scandale du refus de l’amour. Comment expliquer ce refus si ce n’est que le dessein bienveillant de l’amour de Dieu se heurte aux forces du mal, de divisions, de mensonges, d’égoïsmes de ce monde. Toutes ces forces engendrent misère et désolation.
L’homme suffisamment en bonne santé cherche la cohérence, l’harmonie et la beauté. La misère du monde vient contredire, heurter, blesser ce vrai désir. Oui, nous sommes écartelés, confrontés à un douloureux paradoxe. Mais si nous en connaissons le sens, à savoir entrer avec le Christ dans le dépassement de cette tension, celle qu’il a vécue à Gethsémani, dans sa Passion et dans sa Résurrection, un dépassement est possible.
Jésus monte à Jérusalem pour cela : délivrer le monde du pouvoir de Satan. Le règne de Dieu, c’est ce monde débarrassé de toutes les forces de haines, de violence et de mort.
L’envoi des 12, c’est l’annonce d’une victoire, celle du Christ qui livre sur la croix une puissance de guérison et de libération qui change la face du monde.
L’épure de notre foi, c’est Christ vainqueur : dans sa mort et sa résurrection, il a vaincu la mort.
Le texte d’aujourd’hui nous dit cette victoire. C’est cette victoire sur le mal qui nous est donnée.

Oui mais comment vivre de cette victoire ? Ce que les apôtres font, à savoir guérir les malades et chasser les démons, c’est le Christ qui le fait à travers eux et par anticipation de sa victoire sur la croix. Christ nous invite à plus d’intimité avec Lui. La victoire du Christ est passée par l’humiliation. L’angoisse à Gethsémani, la déréliction de la Passion ont été vaincues par l’infinie humilité du Christ.
Le règne de Dieu est tout proche de vous. Comment dire cela si nous n’agissons pas par l’Esprit du Christ qui fait l’œuvre du Père en nous ? Oui, Seigneur, je crois que dans ta passion et ta résurrection tu nous donnes d’annoncer ta victoire.
Les esprits mauvais nous sont soumis. Oui, Seigneur, apprends-nous à voir dans nos vies et autour de nous toutes ces expériences profondes de libération, toutes ces expériences bouleversantes de guérison.
C’est la victoire du Christ qui, par anticipation, donne la paix, la joie, le pouvoir de libérer et de guérir à ceux qu’Il envoie.
Osons la parole de vie, osons la prière, osons croire que la victoire du Christ est consolation.

P . Bernard-Marie GEFFROY

Fête du Saint Sacrement- Homélie du P. Bernard-Marie

Saint Sacrement année B.

« Prenez, ceci est mon corps
Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. »
A Saint Leu, cela fait 40 ans que les fidèles peuvent communier au corps et au sang du Christ.
La constitution conciliaire avait discrètement recommandé la communion à la coupe. Cela n’a pas provoqué une adhésion enthousiaste du peuple chrétien, laïcs et clercs confondus… A quoi bon se compliquer la tâche en organisant la liturgie de façon à offrir la possibilité de la communion sous les deux espèces alors que l’on a tout reçu dans le pain consacré.

Pourtant, boire à la coupe est une pressente invitation de notre Seigneur. Je rends grâce pour St Leu qui permet depuis tant de temps de donner la possibilité de répondre à cette invitation. Pourquoi est-ce important d’offrir aux chrétiens cette possibilité ?
D’abord parce que le symbole du sang a valeur universelle.
Le sang est perçu comme le flux vital qui nourrit et anime le corps de l’homme. Il est plus que cela, il est le symbole du souffle de vie, de l’âme. Cependant l’expression « boire le sang » reste difficile. « Sang versé » exprime la violence du sacrifice du Christ. C’est vrai qu’à une époque récente, nous avions exagérément insisté sur le sacrifice de la messe, en tant que sacrifice sanglant, oubliant que c’est le Christ ressuscité qui agit dans l’Eucharistie, s’offrant et nous offrant au Père. Bien sûr, le Christ par son sang versé scelle l’Alliance nouvelle. Sang de Jésus et Alliance doivent s’éclairer mutuellement. Le sang de Jésus livré dans l’Eucharistie devient alors symbole de vie, de communauté de vie, de communion de destin et de vie spirituelle et ce jusque que dans ce qui est blessé, troublé en nous, entre nous.

« Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai ». Manducation spirituelle, à prendre comme réalité de l’amour de Dieu qui se donne à manger et qui se donne à boire.
Faut-il pour autant éliminer la notion de sacrifice sanglant du Christ. Certes non ! La mort a été librement consentie par le Christ, elle a été sanglante. Pourquoi fallait-il que Christ passe par là ? Rien à voir avec le dolorisme et ses relents de jansénisme. La souffrance, et en particulier la souffrance innocente est révoltante, écœurante. Rappelons-nous la phrase de Jésus à Gethsémani : « que cette coupe s’éloigne de moi ». Il déclare ainsi absurde la souffrance. Alors pourquoi Christ finit par accepter de s’y engager ? « Non pas ma volonté mais ta volonté. » C’est pour nous, pour la multitude que Christ s’engage librement dans le combat de l’amour contre la haine, de la vie plus forte que la mort pour donner à la souffrance un sens et susciter notre adhésion. Au creux de la souffrance, nous pouvons dire oui à Dieu, consentir non en justifiant la souffrance mais plutôt consentir à ce que le Christ par sa propre souffrance en fasse un lieu de rencontre et d’intimité avec Lui. Consentir non à la souffrance mais à l’amour de Dieu et ce jusque dans notre souffrance. Que pouvons nous donner à Dieu sinon notre consentement à l’Alliance ? Alliance, ce mot exige bien une réciprocité de don. La seule chose que nous pouvons Lui donner, le seul mérite qui est à notre portée, c’est dire oui à l’amour de Dieu en engageant toute notre liberté. Pourtant, nous savons bien que nous ne donnons rien. C’est Dieu qui donne tout y compris son amour pour Lui. Alors qu’avons nous donc à donner ? Ce que nous avons de plus précieux sur cette terre : notre liberté ! Au Ciel, c’est trop tard. La vie au Ciel aura quelque chose d’inéluctable et d’irrésistible. Nous serons emportés comme un fétu de paille sur l’océan. Là sera l’évidence de l’amour, un fleuve bouillonnant d ‘amour.
Chacun de nous prendra conscience que nous n’avons fait que recevoir, que nous n’avons jamais rien donné, hormis notre consentement.
Sur terre, nous pouvons donner. Dire oui à Dieu alors que nous pourrions lui dire non, voilà ce que nous pouvons donner et ce jusque dans nos épreuves, notre liberté imparfaite, notre péché. Si nous subissons des épreuves en ce monde, si notre oui à Dieu nous vaut des combats, c’est pour que Dieu au Ciel puisse nous dire « Tu m ‘as donné quelque chose. Je donne mais toi aussi tu donnes, nous donnons l’un à l’autre. Je me donne pour te remercier pour m’avoir donné quelque chose que tu aurais pu refuser. Maintenant tu ne peux plus rien me donner, mais ce que tu m’as une fois donné a valeur d’éternité ! » L’Eucharistie est le lieu privilégié où nous disons oui à Dieu.
C’est pourquoi le Concile affirme que « l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne ».
Avons-nous suffisamment soif pour venir boire à la source ? Faisons-nous de l’Eucharistie du dimanche le sommet de notre vie ? L’Assemblée du dimanche est-elle pour nous la rencontre à laquelle nous ne pouvons renoncer ?
L’Eucharistie, mystère de la rencontre ! Qui rencontrons-nous ? Rayonne-t-il de cette rencontre une « onde de charité » qui se diffuse dans toute notre vie ?

Citation de Philipe Cochinaux

L’Eucharistie est un véritable repas où se partage le corps et le sang du Christ, un véritable repas qui nous transforme et fait de chacune et chacun de nous des frères et sœurs dans la foi. Un peu comme s’il ne pouvait y avoir un sacrement de l’eucharistie sans que celui-ci soit préalablement précédé d’un sacrement du frère ou de la sœur. Communier ensemble à ce mystère est une invitation permanente à partir à la rencontre de l’autre, celle ou celui en qui Dieu inhabite également car ma relation à tout être humain renforce ma relation à Dieu. L’un et l’autre sont inséparables. S’il en est ainsi, la fête du corps et du sang du Christ n’est pas le mémorial d’un événement passé que nous célébrons chaque année. Non cette fête est notre fête car en communiant véritablement ensemble nous devenons les uns pour les autres et pour Dieu le corps et le sang du Christ sur cette terre. Il ne s’agit pas d’une fête à laquelle nous assistons. Il s’agit de notre fête.

Pâques 2018

Pâques 2018

Quelle tension entre ces deux mots : crucifié et ressuscité !
Toute cette tension, nous la retrouverons dans le texte même de l’Evangile de ce dimanche de Pâques. Pour entrer dans le mystère de la Résurrection, nous avons besoin d’accepter une tension intérieure. C’est dans la tension consentie de ce paradoxe, qu’une lumière plus grande que celle notre intelligence peut nous faire faire ce passage entre crucifiement et Résurrection.
Première tension. L’évangéliste a décrit en détails tous les événements de la semaine qui ont abouti à la mort du Christ. St Jean la nomme, non comme une semaine faisant suite à la précédente mais comme « la » semaine : tension donc entre une semaine certes marquante mais qui comme les autres fait suite à la précédente avec ce qui est suggéré : cette semaine a valeur d’éternité. « Une fois pour toute » dirait l’auteur de la lettre aux Hébreux. De quelle semaine unique pourrait-il bien s’agir ? Si nous nous souvenons que Saint Jean commence son Prologue comme une nouvelle Genèse, nous pressentons qu’il s’agit du premier jour de la nouvelle création.
Autre tension : tension entre des mots qui font allusion à la mort et aux ténèbres mais aussi ouverture comme invitation à un passage vers cette nouvelle création. En effet, la pierre obstruant l’accès au tombeau a été roulée.
Autre tension : ce sont encore les ténèbres mais c’est de grand matin. La lumière rasante de l’aurore commence à dissiper l’obscurité : ouverture donc, passage de la mort à la vie triomphante. La pierre roulée en est le symbole, le tombeau est rendu accessible à une nouvelle réalité. Marie-Madeleine, encore toute embrumée et envahie par la tristesse cherche de l’aide auprès des apôtres non pour chercher le vivant mais toujours le corps inerte du crucifié. « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Marie-Madeleine n’est toujours pas sortie de l’ancien monde ; elle n’a pas encore pris conscience de la nouveauté advenue.
Pierre et Jean accourent.
Pierre, sans hésiter, entre dans le tombeau. La lumière de la résurrection n’a pas encore fait naître en lui un nouveau regard capable de saisir dans les événements le monde nouveau qui surgit. Dans la pénombre du tombeau, il ne voit que linge et linceul.
Il ne peut que prendre acte de l’absence troublante du corps du Seigneur.
Jean n’entre pas tout de suite ; il « se penche » et « contemple le linceul resté là ». Son regard scrute l’invisible et « voit ». Bien sûr, il voit ce que Pierre a vu mais bien plus. « Jean vit et il crut » nous dit l’évangéliste. Jean était au pied de la croix. Il a vu mourir Jésus. L’Evangile de la Passion selon St Jean précise que jésus remit l’Esprit. L’évangéliste ne dit pas que Jésus rendit l’Esprit mais qu’Il remit l’Esprit. Pour lui, Jésus meurt sur la croix en livrant déjà l’Esprit. Difficile pour nous de comprendre que la mort de Jésus donne la vie, donne l’Esprit. L’Esprit change notre regard, change le regard de Jean. Que voit-il ? Des linges mais disposés d’une certaine façon. il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part, à sa place ». Le suaire autour de la tête de Jésus, c’est le linge roulé qui enserre la tête et qui retient la mâchoire. Il est roulé à sa place, c’est à dire en place. Le drap proprement dit qui a enveloppé le corps de Jésus posé à plat. C’est dire que le corps de Jésus n’est plus là et cependant, rien n’a été déplacé. Jean a compris cela et en plus, il fait un lien avec l’Ecriture.
le disciple bien aimé est capable de saisir au plus profond du tombeau, au creux tragique des événements ce qu’avait annoncé les écritures. « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Quelle phrase de l’Ecriture arrive alors à l’esprit de Jean lui permettant de faire ce passage dans la foi en la résurrection ? J’ai adhéré à l’hypothèse du Père Kowalski qui pensait que c’était, entre autres, cette fameuse phrase : « Détruisez ce temple et en trois jours je le rebâtirai ». Seul l’esprit illuminé par la foi, l’espérance et l’amour peut discerner, le mystère du Jour nouveau et du Monde nouveau, le mystère de la nouvelle création qui s’annonce, le mystère de la présence du Vivant qui vient combler notre attente. « Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ». Certes nous le savions ! Mais nous le vivons encore et encore à nouveau, avec ce que nous sommes aujourd’hui. Dieu fait toute chose nouvelle. Comme tous les ans, la liturgie nous donne d’accueillir cette nouveauté. Cet aujourd’hui de la résurrection, nous rejoint dans tout ce que nous sommes. Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Toute soif, toute détresse, toute injustice ont été déposées auprès de Dieu, au pied de la Croix. De la croix a jailli l’eau vive du salut et c’est notre joie. Maintenant, nos yeux éblouis par la lumière de Pâques saisissent cette joie comme un cadeau inespéré : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Christ est ressuscité et c’est pour nous qu’Il est ressuscité. Les effets de la résurrection agissent déjà dans notre vie. Au milieu de notre chaos, Dieu trace des chemins de libération. La résurrection est cette nouveauté, cette nouvelle création dans nos vies. Oui ! croyons aussi à l’expérience de la puissance de la résurrection dans la nuit de ce monde. Mettons-nous à l’écoute de ce monde en souffrance, de ce monde en attente. En son nom, accueillons ce mouvement puissant qui nous fait passer de la mort à la vie. Mais de quelle puissance s’agit-il ? Cette puissance n’a rien à voir avec ce que ce mot évoque parfois, selon l’image du monde, de contrainte, d’écrasement et de violence. Christ s’est fait serviteur, aux antipodes des tyrans de la terre qui dominent par la terreur. Christ serviteur révèle la vraie royauté, puissance d’amour et non de pouvoir : puissance d’amour, faite de douceur et de force, jaillissant d’un cœur habité par la puissance de l’Esprit. Dans cette puissance rayonnent lumière et tendresse infinies. Certes en Christ, la victoire est déjà réalisée mais déjà vivante en nous, disponible et certaine bien que l’accomplissement en plénitude en nos vies ne soit qu’en devenir. C’est cela notre espérance. Accueillons la dans le concret de nos vies, dans les joies certes mais aussi dans le poids du jour et même quand tout paraît difficile, éprouvant.
Dieu nous précède dans ce monde nouveau de la résurrection. Il nous précède dans la plus éblouissante nouveauté.
La résurrection, c’était il y a plus de 2000 ans mais en quelque sorte nous pouvons dire que la résurrection vient vers nous, elle vient non seulement de l’histoire passée de Jésus mais elle est déjà là et nous pouvons à chaque instant y plonger notre présent. Elle vient aussi de l’avenir car la Résurrection est non seulement source mais aussi finalité de notre vie.
Dans le face à face avec lui, quand nous le verrons tel qu’il est alors nous lui serons semblables 1jn 3, 2

3ème dimanche de Pâques année B

Pourquoi dit-on qu’il est vraiment ressuscité ? N’est ce pas suffisant de dire il est ressuscité ? Pourquoi insister en disant « vraiment » ou « en vérité » comme s’il nous fallait nous en convaincre nous même ? Certes la notion même de résurrection est une réalité qui dépasse l’expérience humaine. Cependant dans l’insistance du vraiment, il n’y a pas qu’un désir d’auto-persuasion. Ce sont plutôt des éléments pour répondre plus justement à la question d’une nouveauté radicale depuis la Résurrection.
Habituellement, comment reconnaît-on quelqu’un ? Par son intonation de voix, par son visage, son regard, sa silhouette, sa démarche, ses gestes, tout ce qu’il a de plus personnel. Dans toutes les apparitions de Ressuscité aux disciples, rien de tout cela. D’abord, on ne reconnaît pas cet être qui a été pourtant si proche. Les évangélistes emploient généralement un passif. Il est vu mais ce n’est jamais une action de voir, active, franche, précise. Impossible de le voir comme avant sa mort. « Il est vu, il est apparu, il se tient auprès d’eux » comme si ce monde des apparitions indiquait une autre modalité de présence. Toute la pédagogie du Ressuscité est d’installer les fondations d’une juste conception théologique de la Résurrection. Deux axes essentiels de cette leçon, de cette démonstration du Ressuscité.
– l’insistance du Christ est grande pour prouver la réalité corporelle de sa Résurrection. Cette démonstration est aussi pour nous. Ce sont ces fondamentaux que les disciples nous transmettent. Ressusciter n’est pas une manière de parler. Ce n’est pas seulement l’âme. « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Avez vous quelque chose à manger ? »
– C’est le corps mais aussi l’histoire du Christ qui continue à faire des gestes qu’il a déjà partagés avec les disciples, des gestes connus : manger du poisson, se montrer dans un contexte familier, autour d’une table, sur le lac de Tibériade lors d’une pêche. Le ressuscité est bien celui que les disciples ont suivi, admiré, aimé. Son corps est bien réel, gardant les traces du travail accompli : ses plaies. C’est beau un corps qui a travaillé. Le travail de Jésus a été d’annoncer l’amour du Père. Un amour infini, inconditionnel, réparateur, libérateur. Aviez vous remarqué sur le visage de Mère Térésa les marques du travail de l’amour. Son beau visage tout ridé resplendissait de cet amour reçu et donné mais aussi de la souffrance de l’amour. Le visage de Charles de Foucaud, à la fin de sa vie amène au même sentiment : paix et joie, fruits d’un travail, d’une souffrance de dépassement, d’oubli de soi.
Tous ces témoignages du Christ ressuscité sont essentiels. Ils établissent la fécondité de l’amour. Cette fécondité est déjà visible, elle se laisse voir, elle est concrète, elle est inscrite dans la chair. L’amour du Christ ressuscité passe par la cohérence de l’événement proclamé de la Résurrection Il est vraiment ressuscité. Cet amour est à accueillir non seulement par la cohérence des Ecritures qui raconte « le dessein bienveillant de l’amour du Père, avant la fondation du monde » mais aussi par notre capacité à nous laisser ébranler toucher par cet amour. Rappelez-vous les disciples d’Emmaüs :
« n‘avions nous pas le cœur tout brûlant quand il nous expliquait les
Ecritures ? »
Dans la première lettre au Corinthiens, Paul raconte ce qu’on lui a transmis. Le christ a été vu par Képhas par les douze, puis par 500 frères à la fois (certains sont encore vivants, sous-entendu allez leur demander) et finalement il a été vu par moi.
Christ s’est laisse voir par Paul mais la manière dont le Christ s’est laissé voir par Paul est radicalement différente que celle destinée aux disciples. Ce n’est plus la même réalité. Le Christ qui lui apparaît est retourné vers le Père. C’est après l’ascension. Paul ne le voit pas à proprement parler. Il est aveuglé par une lumière qui le jette à terre et Il entend sa voix : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » C’est le Christ de gloire qui lui apparaît. Dire la gloire de Dieu, c’est dire le rayonnement de l’amour infini qui est en Dieu. Paul en est aveuglé et retourné. L’histoire d’amour avec ses disciples continue dans son Corps que sont les communautés chrétiennes persécutées par Paul.
On comprend mieux alors, la raison des apparitions du Ressuscité aux disciples dans l’entre-deux. C’est un sas important entre Pâques et l’Ascension. Christ y est présent mais c’est une présence différente de celle d’avant. Elle est cependant dans la continuité de ce qu’ils ont vécu ensemble. La Résurrection est corporelle et dans le Corps du Ressuscité une radicale nouveauté : l’extrême intimité en Christ de Dieu et de l’homme et ce jusque dans ce qui est blessé n l’humain
Notre foi repose sur les témoignages qui disent que Christ est vraiment ressuscité : amour blessé, amour fécond qui se laisse trouver par ceux qui se laissent aimer rejoindre par cet amour.
N’ayons pas peur de nos fragilités, elles sont les portes d’entrées de cet amour. N’ayons pas peur, Dieu nous rejoint dans nos blessures, dans nos frustrations, nos déceptions, dans notre tristesse comme pour les pèlerins d’Emmaüs, dans notre repentir comme pour Pierre, dans notre quête d‘amour comme pour Marie-Madeleine, dans notre zèle pour Dieu mal orienté comme pour Paul, dans le oui douloureux de Marie au pied de la croix.

Méditation de Bertrand Révillon sur Pâques.

Pâques : heureuse minute où il nous est donné de croire que tout est encore possible, que nos existences, quelles qu’elles soient, peuvent se remettre debout, choisir enfin la liberté.
Pâques : bienheureuse minute où la nuit cède enfin le pas aux premières lueurs de l’aube.
Pâques : temps béni où nous pouvons enfin nous risquer à devenir ce que nous sommes : des marcheurs, des nomades, des aventuriers, les yeux rivés vers la Terre promise de notre propre résurrection.
Viens, Seigneur ! Viens, Esprit consolateur, abattre l’arbre mort de nos doutes, où Tu gis, inerte et crucifié.
Viens, Esprit créateur, habiter notre cœur pour mieux nous relever de l’intérieur. Écarte, de Ton Souffle, la cendre de nos vies et viens attiser la braise de notre espérance. Sois pour nous Parole qui guérit, Lumière qui éclaire, Amour qui transfigure.
Viens, Seigneur, nous murmurer à l’âme que, déjà, Tu es là.