Dimanche 30 décembre 2019

Sainte Famille

La famille, c’est le laboratoire où l’on apprend à aimer. Pourquoi l’Eglise nous donne comme exemple la Sainte Famille ? N’est-ce pas parce que la famille est censée nous faire grandir dans notre propre capacité à aimer ?

De la famille apaisante où tout le monde se sent en sécurité à la famille tourmentée où il est difficile de se situer paisiblement, à sa juste place et jusqu’à la famille dysfonctionnelle et destructive, existe toute une palette. Quelque soit la famille dans laquelle nous avons grandi, quelque soit la famille que nous avons fondée, quelque soit la famille que nous allons fonder, quelque soit notre famille religieuse, spirituelle, paroissiale, la sainte famille est réparatrice, tout l’opposé de cette fameuse phrase de Gide ou de Bazin : « Famille, je vous hais ». Contempler la Sainte Famille, c’est la prendre comme modèle, c’est puiser, en elle, forces de construction et de réparation.

Pourtant, elle n’est pas classique du tout, cette Sainte Famille. Unique est la naissance miraculeuse de Jésus. C’est vrai que dans la bible, on trouve de nombreux récits de naissances miraculeuse : par exemple, celle de Samuel qui nous a été racontée dans la première lecture. Mais il y a aussi celle d’Isaac, Sanson, Jean-Baptiste. Ce qui est unique pour Jésus, c’est la naissance virginale par la puissance de l’Esprit.

La famille de Jésus est atypique mais soigneusement choisie par Dieu.

Marie lui a donné un corps et son amour. C’est elle qui au travers de l’enfantement mais aussi de l’éducation, en a fait l’homme qu’Il est devenu. Jour après jour, au cœur de sa vie familiale, Jésus-bébé, Jésus-petit-enfant, Jésus-enfant, Jésus-adolescent, va recevoir de Marie, ce que tout être devrait recevoir de sa mère : la tendresse, le sourire de la vie, l’exemplarité du devoir à accomplir, la délicatesse dans la vie quotidienne, la réalisation de la Parole de Dieu au travers des faits et gestes d’une femme. Dieu, en Jésus, s’est modelé comme homme sous le regard de la Vierge Marie.

Joseph, le père qui adopte cet enfant avec amour, patience et sens des responsabilités, lui donne un métier, celui de charpentier. Il lui apprend et lui fait reprendre et répéter les gestes méticuleux, laborieux de l’homme qui sculpte les matériaux, les ajuste avec précision, les fait devenir utiles et beaux.
Joseph apprend à Jésus à parler aux hommes, avec les hommes. Au travers des projets à réaliser, au travers des discussions pour le prix du travail, au travers des impatiences du demandeur, Joseph apprend à Jésus le sens de la vie parmi les hommes.

Le soir, en famille, l’enfant, l’adolescent, le jeune homme, se retrouve avec ses parents, avec ses cousins et cousines. Ils parlent, ils se réjouissent, ils s’attristent de la mort d’un proche. Ils se réjouissent lors des mariages, ils partagent les peines et les joies.

Jésus fait l’expérience de la vie de famille et par sa famille, la vie de tout son entourage.

Famille à la fois atypique mais aussi famille porteuse d’une qualité d’amour exceptionnelle.

On pourrait en rester là et contempler cette famille idéale comme un rêve impossible à réaliser. Le texte de l’évangile de ce jour vient nous mettre en garde contre une telle idéalisation.

Ah si j’étais né dans une telle famille ! Ah si je pouvais fonder ou avoir construit une telle famille !

La Sainte Famille telle que la décrit l’évangile est une famille toujours en déplacement, toujours en butte à l’adversité, toujours remise en question : naissance de Jésus lors d’un déplacement de Nazareth à Bethleem, fuite en Egypte, retour à Nazareth. Le recouvrement au temple est l’événement qui nous parle en plus d’un déplacement intérieur qui sera pour Marie et Joseph un arrachement. Les liens affectifs d’une grande intensité entre Jésus, Marie et Joseph ne peuvent être le centre de l’amour qui les unit. Les liens familiaux ne peuvent se vivre que comme une recherche incessante de la volonté de Dieu. Dans le temple, Jésus proclame que le bien infiniment précieux se trouve en Dieu lui-même. Il ne s’agit pas de nier les liens charnels mais de les donner pour que l’Amour divin les transfigure. Cette famille a Dieu et l’obéissance à Dieu pour centre et comme principe d’unité qui la tient unie plus fortement que les liens charnels entre la mère et le fils. Il est évident que Jésus dans sa fugue de trois jours ne fait pas sa crise d’adolescence. Il s’agit d’autre chose, il s’agit de relier la qualité d’amour vécu dans la sainte famille à un amour-source. Marie et Joseph sont appelés à relier leur amour à cet amour source d’où tout découle.

Le recouvrement au temple est comme une pierre d’attente à une autre contemplation que celle de la sainte famille. Après avoir contempler en la sainte famille l’écrin humain de l’amour divin, il nous faut comprendre les trois jours d’angoisse de Marie et Joseph comme l’annonce prophétique de la Passion du Christ en cette même ville Jérusalem.

Tout d’abord, il nous faut comprendre le contexte : L’enfant Jésus a disparu pendant trois jours. Comment est-ce possible ?
Après le pèlerinage à Jérusalem, les pèlerins qui partent vers le Nord se donnent rendez-vous à Ramala, à proximité de Jérusalem pour se regrouper par famille et repartir sur la route. Les cousins, frères et sœurs, oncles, tantes, proches et amis se disent au revoir et chacun part dans sa famille respective, restreinte aux plus proches.
C’est donc tard que Joseph et Marie s’aperçoivent que Jésus n’est pas parmi ses cousins et amis et ils repartent à Jérusalem le chercher, la peur au ventre. «Le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. » raconte Saint Luc.

Ce qu’il décrit juste après, c’est l’angoisse de Marie et Joseph : « Mon enfant pourquoi as-tu fait cela ? Vois ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ». La réponse de Jésus est loin d’être consolante. Jésus les invite à un déplacement : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Certes Joseph et Marie ne comprennent pas mais c’est comme une pierre d’attente pour Marie qui aura l’âme transpercée par un glaive, au pied de la Croix. L’arrachement sera alors total et accomplie la purification la plus totale. C’est cette pureté dont témoigne Marie et que Jésus nous transmet jusque dans tous les arrachements de nos vies.

Dans la Passion et la Résurrection du Christ, nous accueillons l’amour pur qui assainit l’amour humain en nous libérant de toutes velléités de puissance, d’emprise, toutes obstacles à l’amour, toutes répétitions psychologiques, tous nœuds générationnels toxiques. Cet amour pur n’a-t-il pas été déjà vécu dans la sainte famille ? Jésus fait passer Marie et Joseph de l’amour familial à l’amour universel.

Au pied de la croix, tout l’amour de Marie est transfiguré en amour universel. Jésus nous la donne comme mère universelle.

P. Bernard-Marie Geffroy

Lundi 24 décembre 2018

Noël 2018
Introduction :
C’est Noël, approchons-nous de la crèche avec un cœur d’enfant. Prenons part à la fête, à ce mystère si grand où la gloire de Dieu est manifestée d’une manière tellement imprévue, qu’elle révèle à un point très profond qui est Dieu. Il n’est pas seulement puissance, Il est immense tendresse. Comment ne pas se laisser éclairer par la lumière qui émane de la crèche. C’est l’Enfant-Dieu qui irradie cette lumière. Il est la Beauté faite chair, la Beauté qui nous illumine et nous nourrit !

Homélie
Noël, c’est l’occasion d’approfondir notre regard. Nous avons oublié le regard de l’enfant que nous étions. Avons-nous laissé définitivement aux oubliettes notre capacité d’émerveillement, d’étonnement et d’innocence. Noël est le temps de contacter en nous l’enfant intérieur, l’enfant éternel, l’enfant sacré. A-t-il vraiment la parole ? N’est-il pas empêché par un autre enfant intérieur, l’enfant blessé qui revendique une réparation ou l’enfant roi qui veut prendre toute la place.

Prenons le temps d’entendre l’enfant sacré en nous. Qu’est-ce qu’il voit, qu’est-ce qu’il entend ? Il nous faut comprendre à travers le regard de cet enfant les choses cachées que Dieu a mis en ce monde dans son dessein d’amour bienveillant.

Un chemin possible, c’est celui des bergers. Ils ont gardé une âme d’enfant. Ils vivent une certaine précarité et donc une certaine simplicité. La voute étoilée du ciel lorsqu’ils dorment à la belle étoile les amène à la contemplation, à l’éblouissement. Dieu a fait le Ciel et la terre. Il a créé l’homme pour qu’il puisse, de la terre, contempler le Ciel. Cette nuit là, le Ciel pour les bergers va s’ouvrir. C’est au cœur de leur regard capable de contemplation que Dieu va se révéler. L’invisible va s’ouvrir. Le Ciel physique n’est qu’un signe, un appel, un clin d’œil qui appelle à la mystique, à la rencontre avec l’invisible.

Par grâce, soudainement, les bergers ont accès à la liturgie céleste, éblouissante de beauté et d’harmonie. L’ange les rassure pour qu’ils ne soient pas effrayés. Il doit aussi leur faire une annonce, un lien difficile à comprendre. Comment mettre en relation la lumière céleste qu’ils ont vue et la douce lumière de la nuit de Noël qui irradie de cette pauvre demeure? Tout d’abord, comment nommer ce lien ou plutôt ce passage. Un mot peut nous conduire, un tout petit mot qui n’a l’air de rien et que l’on traduit dans le texte liturgique par le démonstratif « ce » qui traduit rema ou remata. Le mot signifie parole et pour rendre compte du contexte, on peut traduire littéralement par « parole-événement », « chose-dite ». « Allons à Bethléem et voyons la « parole-événement », disent les bergers. C’est alors pour eux une expérience spirituelle qu’ils vivront sous une autre forme. Ce n’est pas le Ciel qui s’ouvre alors mais leur cœur.

Comment voir une parole en un nouveau-né emmailloté dans une mangeoire si ce n’est dans un cœur ouvert à l’invisible capable de voir et d’entendre? Leur cœur, dans l’expérience céleste qu’ils ont vécue a été rendu capable de scruter dans l’invisible ce qu’il y a derrière cette naissance : le dessein bienveillant de l’amour de dieu pour l’humanité. Les bergers ont vu cet Enfant. Ils ont pu contempler en ce nouveau-né un Sauveur, un Messie, un Seigneur.

Toute expérience spirituelle authentique est appelée à se dire. C’est ce que feront les bergers !

« Ils firent connaître la parole-évement qui leur avait été dite à propos de l’enfant. » Ils ne l’ont pas seulement accueilli mais ils l’ont transmise cette parole-événement. Tout le monde s’étonnait, littéralement tout le monde s’émerveillait. Cette pauvre étable est un lieu d’émerveillement grâce à un nouveau-né qui sans parole révèle comment Dieu aime. Dieu s’abandonne à l’homme et fait l’expérience de notre humanité jusque dans sa précarité, vulnérabilité, pauvreté. Dieu s’est fait homme, Dieu en Jésus s’est exposé à la vie humaine. Ce que nous fêtons à Noël, c’est Dieu qui se risque à la vie humaine.
Pourquoi cette déroutante humilité de Dieu ? C’est par amour que le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous.

Le cœur des bergers a vibré dans cette double expérience : expérience de transcendance, de lumière grâce au ciel qui s’est ouvert pour eux mais aussi expérience d’humilité en cette humble étable, divinisée par la présence de l’Enfant-Dieu.
Toute tristesse, tout apitoiement sur eux-mêmes, toutes centrations égoïstes, ont été libérés et leur cœur est disponible à l’émerveillement de Noël.

Dans notre cœur ouvert au mystère de Noël, Dieu nous visite. A chaque fois que nous nous humanisons dans l’épaisseur de notre quotidien, c’est à dire quand nous apportons plus de justice, plus de fraternité, plus de clarté, plus de vérité, plus de tendresse, plus de consolation, et même si nous n’avons apparemment rien à offrir et que nos mains sont vides et notre cœur en détresse, Dieu divinise le lieu même de notre humanité ouverte à sa venue. Dieu se fait tout proche, accessible dans le mystère de l’Incarnation et révèle son visage, celui d’un Dieu pauvre, sous les traits d’un enfant fragile et vulnérable appelé à naître dans notre cœur.

N’oublions pas qu’il est aussi le Transcendant. S’il s’est abandonné à l’homme, c’est pour que l’homme apprenne à s’abandonner à Dieu, en tout petit enfant qui fait confiance, qui attend tout de Dieu, même son propre agir.

Les bergers ont fait l’expérience de Dieu dans sa grandeur et son humilité.

Ils peuvent alors adorer l’enfant-Dieu. Au cours de cette Eucharistie demandons la grâce d’un cœur qui adore. Cette adoration a pour conséquence de nous permettre de faire grandir en nous l’enfant éternel. Nous comprenons mieux qui nous sommes, des êtres humains parfaitement aimés. L’enfant éternel en nous le sait. Faisons lui allégeance. L’enfant éternel, c’est la partie en nous où innocence, beauté et intégrité règnent absolument.

Les bergers peuvent alors « raconter la « parole-événement » que l’ange leur avait dite ».
Quant à Marie elle garde dans son cœur les « paroles-événements » dont elle cherche le sens. Le sens, c’est le sens de nos vies. Nous sommes faits pour la lumière. Marie nous aide à nous installer devant la crèche dans l’espérance, l’espérance d’une plénitude, celle d’une lumière qui nous attend, nous espère, cette lumière d’où nous venons, cette lumière qui se révèle sans cesse à nous, cette lumière qui éclaire notre chemin, cette lumière qui est en nous, cette lumière vers laquelle nous cheminons et qui resplendira pleinement en nous et entre nous quand nous la verrons face à face.

Dimanche 23 décembre 2018

1) le regard qui fait vivre
Que voit-on dans les yeux d’une personne ? Dans ses yeux, on lit tout son art d’aimer et de se laisser aimer. Avez-vous déjà rencontré des personnes dont l’art est de faire exister l’autre dans la bienveillance, en fait l’art de l’autre ? Vous êtes-vous demandé comment Marie regardait chaque personne qu’elle rencontrait ?
Combien plus depuis l’Annonciation. Ce récit de sa rencontre avec l’Ange se termine ainsi : « qu’il me soit fait selon ta parole ». Quand nous disons dans le Notre Père : « que ton règne vienne , c’est le verbe genomai à l’impératif. C’est le même verbe qu’utilise Marie mais à l’optative. Elle invite le Seigneur, s’il le désire, à entrer au cœur de sa vie et à laisser l’Esprit Saint faire grandir en elle le mystère que l’ange vient de lui annoncer. « Si tu le désires, alors que ton projet prenne naissance en moi et qu’il grandisse ». C’est à partir de ce moment que l’Esprit saint va œuvrer en elle et au delà d’elle.

2) Pourquoi Marie se hâte-t-elle pour visiter sa cousine Elisabeth, enceinte de six mois ? L’Esprit Saint va « jeter » Marie sur la route. Luc précise qu’elle se rend de Nazareth à Eim Karen en hâte. 150 kms pour atteindre les collines de Judée, tout à la joie de l’expérience de l’Esprit Saint. Depuis l’Annonciation, tout se précipite rapidement. Dieu est l’œuvre dans l’invisible, tellement à l’œuvre que la manière de voir de Marie en est illuminée. L’Artiste par excellence, c’est l’Esprit Saint. A travers Lui, notre regard, le monde se ré-enchante. Qui plus est, les rencontres en sont illuminées.
C’est tellement puissant que cela surgit de l’invisible pour se manifester dans les paroles et les gestes qu’échangent cette jeune femme, Marie et cette vieille femme sa cousine Elisabeth, toutes les deux enceintes.
Marie a salué Elisabeth. Qu’a-t-elle dit de plus que le shalom traditionnel ? Un mot tout simple de politesse et pourtant ce mot fait gonfler la voix d’Elisabeth et déclenche en elle un bondissement de l’enfant qu’elle porte.
Elisabeth dans la joie des naissances toutes proches de Jésus et de Jean-Baptiste fait l’expérience de cette communication vitale par Marie. Les deux futures mamans vont exprimer une allégresse qui dépasse de beaucoup la joie humaine de porter et d’enfanter la vie.

3) Marie, communiquant la joie ! Mais qui agit dans cette communication ? C’est l’Esprit Saint qui est à l’œuvre, c’est l’Esprit Saint qui a recouvert de son ombre Marie, c’est encore lui qui l’a conduite en hâte vers sa cousine Elisabeth, c’est l’Esprit Saint qui a fait tressaillir l’enfant, c’est l’Esprit Saint qui fait prophétiser Elisabeth, c’est l’Esprit Saint qui procure à ces deux futures mamans une joie qui dépasse tout.
Cette allégresse venue de l’Esprit Saint exprime un bonheur en Dieu, envahissant tout l’être, corps compris et cela dans la sobre ivresse de l’esprit Saint.
Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ….crie Elisabeth
Communication vitale, je dirai, de ventre à ventre, de la vie divine, dans une profonde explosion de joie. Elisabeth a reconnu Jésus à peine conçu comme son Seigneur. C’est dire que l’Esprit Saint a illuminé de sa lumière son intelligence et déjà la bonne nouvelle se propage.
4) Non seulement le regard de Maie fait exister l’autre dans sa profonde dignité mais elle fait naître en l’autre le désir de visiter sa propre vie intérieure. C’est ce à quoi nous invite cette proximité de Noël qui vient. Que rayonne sur nous, comme a rayonné sur Marie, l’action de l’Esprit Saint. Que le mystère de Jésus qui a grandi en Marie nous enveloppe de sa beauté et vienne toucher en nous cet enfant éternel qui ne demande qu’à grandir. Que nos yeux en soient illuminés, que rayonne sur nous la joie de Noël.
Marie est pour nous comme un appel au rayonnement de notre vie intérieure.
Marie s’en va pour accomplir une mission, une évangélisation. L’Enfant qu’elle porte, elle doit le porter aux autres. C’est une sorte d’extase, une sortie de soi, tout le contraire d’un renfermement sur son propre vécu spirituel. Marie est donc saisie dans la mission de Jésus !
Marie goûte déjà la fécondité de sa mission associée à la mission de Jésus.
Nous aussi notre fécondité spirituelle est cette plongée en nous même, non pas un repli introspectif sur nous-même, non pas de l’introspection qui nous mène qu’à nous même mais bien plus que cela, un mouvement de notre propre esprit porté par l’Esprit saint qui vient rayonner autour de nous toute la beauté intérieur que Dieu a mis en nous.
Je ne résiste pas à vous relire le fameux texte du Père jésuite Maxime Gimenez que je ne cesse de proposer à notre méditation.
Lorsque l’on parle d’intériorité, on songe spontanément à cette sorte de repli introspectif sur soi que suggère le mouvement d’intériorisation ; mais si la «plongée» ne s’effectue que dans un sens, à savoir dans la profondeur de sa propre subjectivité, on est encore bien éloigné de l’intériorité authentique. L’intériorité n’est pas un état d’esprit mais un mouvement de l’esprit, elle est infiniment plus proche de la compassion que de l’introversion. Le mouvement de l’intériorité consiste, précisément, à se rendre proche de ce qui « est », il consiste à se tenir dans la proximité de ce qui « est », tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de soi, en sorte que l’on parvienne à se situer en conscience au cœur de tout ce qui « est », par le fait de pouvoir se maintenir consciemment dans le mouvement pur de la vie où s’opère la réconciliation permanente entre l’intérieur et l’extérieur de toute réalité. Loin d’être un repli sur soi, l’intériorité est une attitude de non distance vis-à-vis des êtres et de soi-même, par la vertu d’une ouverture totale du cœur. Maxime Gimenez.

5) Dans la nuit de Noël nous ferons mémoire du Ciel qui s’ouvre. Un acte de foi nous sera nécessaire. Peut-être que le scénario de Claus Drexel d’un film de fiction qu’il est en train de tourner peut nous préparer à cet acte de foi qui relie la terre et le Ciel. Catherine Fro interprète Christine une femme habitant un squat, portant difficilement tout le poids de sa souffrance. C’est un enfant érythréen qui va percer sa carapace sensée la protéger des autres. L’enfant a perdu sa maman et se réfugie dans le squat de Christine qui va le repouser jusqu’à ce qu’elle accepte de l’aider. Là le Ciel va s’ouvrir pour elle et elle déplacera des montagnes pour retrouver la mère de l’enfant. L’arrachement qui suivra la replongera dans sa solitude mais elle aura par son regard, par le rayonnement d’une vie intérieure qui est passé à travers les brumes de sa souffrance fait revivre un enfant et sa mère.

Dimanche

3ème dimanche de l’avent

Il semblerait qu’il y ait deux baptêmes, celui de Jean et celui du Christ.
« Moi, je vous baptise avec de l’eau ;
mais il vient, celui qui est plus fort que moi.
Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Il tient à la main la pelle à vanner
pour nettoyer son aire à battre le blé,
et il amassera le grain dans son grenier ;
quant à la paille,
il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »

Ce simple verset invite à beaucoup de questions.

Tout d’abord que veut dire baptiser dans l’eau ?

Quel est ce baptême du Christ qui est une plongée dans l’Esprit Saint et le feu ?

Troisième question : quel rapport avec le 3ème dimanche de l’Avent dit Gaudete que l’on place sous le signe de la joie.

Le baptême de Jean est puisé dans la tradition biblique. Les rites de purification avec l’eau se développent beaucoup à l’époque du Baptiste: telle l’ablution pour se purifier au retour de la place publique car on pouvait y avoir côtoyé des païens et des pécheurs (Marc 7. 4).

De même chez les contemporains de Jésus, quand un non-juif se convertissait (“prosélyte”), il était marqué de la circoncision, signe commun aux enfants d’Abraham. Mais, pour indiquer sa rupture avec le monde païen, il prenait aussi un bain, appelé couramment “baptême des prosélytes”. La plongée dans l’eau signifiait la mort à l’ancienne vie et la remontée qui suivait immédiatement symbolisait une nouvelle manière d’être.

Où est l’originalité de Jean-Baptiste dans ce qu’il propose.

La grande différence, c’est que Jean-Baptiste ne baptise pas les prosélytes. En effet ceux qui se présentent sont des descendants d’Abraham. Alors pourquoi ce rite ? Jean-Baptiste invite à un baptême de conversion. Le messie tant attendu vient ! Il est déjà là ! Convertissez vous car le moment que nous vivons est essentiel. Je vais vous plonger dans l’eau symbole de la mort. Mourrez au péché en vous reconnaissant pécheur et remontez de cette mort en homme libre du péché. S’abriter derrière la paternité d’Abraham ne suffit pas, ou derrière le feu des sacrifices ne suffit pas. C’est vous mêmes que vous devez offrir. C’est vous-même dans la vie quotidienne. Jean-Baptiste nous ramène à notre vie quotidienne, en invitant à la charité et en exigeant de renoncer à la violence et à la cupidité.

Où est la nouveauté en Jésus ?

Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ?

Jésus n’a pas baptisé durant sa vie terrestre, pas même au cercle étroit de ses apôtres,. Au moment de les quitter lors de l’Ascension, il prescrivit à ses disciples :” de ne pas s’éloigner de Jérusalem mais d’y attendre la Promesse du Père, le don que je vous ai annoncé. Car Jean a baptisé avec de l’eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés, saints, dans l’Esprit.” (Actes 1. 4 et 5). C’est donc à la Pentecôte que seront baptisés les disciples. C’est à notre baptême et à notre confirmation que nous avons été plongés dans l’Esprit Saint. Le feu est donc le symbole de l’Esprit Saint. Il a une autre signification : Le Messie vient exercer le Jugement de Dieu. Dans l’Ancien Testament, très habituellement, le jugement de Dieu était évoqué comme une purification par le feu et par une opération de tri : « Il tient en main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas. » Les auditeurs de Jean-Baptiste connaissaient cette image, ils savaient que c’est effectivement une Bonne Nouvelle car ce tri ne supprimera personne : ce feu n’est pas un feu de destruction mais de purification ; comme la pépite d’or est purifiée de ses scories pour être plus belle encore, ce feu nous débarrassera tous de ce qui, en chacun de nous, n’est pas conforme au royaume de justice et de paix instauré par le Messie. Il a aussi une signification eschatologique. Toute cette purification sera en plénitude dans chacune de nos vies quand nous le verrons face à face et dans l’accomplissement de l’histoire, à la fin des temps quand le Christ récapitulera et assumera toutes choses en Lui.

Esprit Saint et feu mais l’eau ?

Le signe sacramentel du baptême est l’eau et non pas le feu. “Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit”, déclare Jésus à Nicodème (Jean 3. 5). Jésus lui-même, quand il parle de son baptême, désigne sa Passion (Luc 12.50).

Nous avons été plongé dans la mort et la Résurrection du Christ. Son baptême, c’est quand il a été plongé dans les eaux de la mort pour renaître dans le mouvement de sa Résurrection. C’est dans ce baptême que nous-mêmes avons été plongés.

A la lumière de cette réflexion, nous pouvons relire Sophonie. “ Le Seigneur ton Dieu est en toi. C’est lui le héros qui apporte le salut. Il te renouvellera par son amour.”

Le temps de l’Avent est celui de l’annonce joyeuse de cette venue qui nous libère : “Il dansera pour toi avec des cris de joie” (Sophonie 2. 18). “

Dimanche 2 décembre 1er Avent année C

Confiance, Jésus vient

L’Avent, c’est une invitation à entrer dans un chemin d’humilité pour retrouver à Noël un cœur d’enfant capable d’éblouissement devant l’Incarnation du Verbe, devant l’enfant-Dieu tellement vulnérable qu’Il en est désarmant et qu’il peut nous désarmer de notre superbe si nous le voulons. Oui, il peut nous apprendre qu’il existe une vulnérabilité d’accueil, une capacité d’éblouissement susceptible de nous faire découvrir la tendresse de Dieu. Pourtant, nous pourrions prendre comme une menace et presque comme une injonction paradoxale le texte de Saint Luc de ce premier dimanche de l’Avent.

Comment entendre d’une part « Les hommes mourront de peur » et tout de suite après « Redressez vous et relevez la tête car votre libération approche » ?

Jésus annonce des catastrophes, terribles catastrophes à venir. Ne sont-elles pas déjà venues ces catastrophes ? Ne sommes nous pas en plein cœur de ce bouleversement ?

Dieu est amour, tendresse et douceur mais il est aussi force et puissance. C’est ce paradoxe qu’exprime le style apocalyptique des écritures. Jésus est cet enfant-Dieu vulnérable dont nous ferons mémoire à Noël et il est aussi ce Fils de l’homme annoncé par Daniel et par Jésus lui-même. Il est à la fois Christ en gloire venant sur les nuées et l’homme de douleur sur la croix.

Jésus prononce ce long discours eschatologique et décrit, de façon symbolique, le désordre établi au cœur de l’humanité par sa cupidité et son irresponsabilité. S’il nous faisait le même discours aujourd’hui, il nous parlerait sans doute des guerres engendrées par la soif du pouvoir ou des richesses, sans compter l’oppression et la souffrance dues aux disparités entre les privilégiés et les exclus dans toutes les sociétés, y compris les mieux nanties. Il dénoncerait le gaspillage insensé qui pollue notre petite planète bleue pour des profits à (très) courte vue.

Dénoncer suffit-il ? Ne faut-il pas agir. Jésus est à l’œuvre dans le fond de notre cœur. De manière cachée, il agit si nous acceptons une alliance, celle de l’Eternité au cœur de notre cœur. Il agit dans l’enfouissement dans le monde jusqu’au creux de toutes détresses.

Malgré les apparences, Jésus ne parle pas uniquement d’une « fin du monde », mais de la transformation du monde, de l’installation d’un monde nouveau, du «renouvellement » du monde. Quand il décrit un chamboulement cosmique, ce n’est qu’une image symbolique du renversement complet de la situation. En résumé, son message, c’est « l’amour aura le dernier mot ». Christ nous invite à adopter une attitude non pas d’attente passive, mais de vigilance active : le quotidien doit être vécu à la lumière de cette espérance.
Jésus termine par une recommandation très importante: « Tenez-vous sur vos gardes ». À quoi faut-il prendre garde maintenant ? A toutes les formes de désordre dans la vie privée (égocentrisme, individualisme, avidité, cupidité). Son discours se termine non par l’appel à la crainte et au tremblement, mais par la confiance que donne cette entrée fulgurante du Fils de l’Homme dans l’histoire, à travers l’action de ses disciples pour défendre l’homme. Il les appelle à se tenir debout devant lui, dans l’attitude qui exprime la dignité qu’Il leur a redonnée en devenant l’un d’entre eux.

Nous pouvons tous faire quelque chose dès aujourd’hui. Pour changer le monde, commençons courageusement par nous changer chacun personnellement.

En ce temps de l’Avent, tenons-nous debout pour que la présence du Ressuscité nous pénètre et nous transforme et, qu’à travers nous, il continue et achève la libération de tous les esclavages, de toutes les souffrances, de toutes les violences et de toutes les oppressions engendrés par le péché de l’homme.

Peut-être vous ai-je parlé de Natacha qui est venue, il y a quelques années, demander le baptême ? Elle a pu être baptisée en banlieue, là où elle habitait
Elle m’a témoigné de la Présence de Dieu au cœur même de sa détresse. Bafouée et salie dès sa plus petite enfance, elle dit qu’à l’intérieur même de sa douleur, Dieu est là. Sans toutefois faire disparaître cette souffrance, il lui donne de ne pas en être totalement détruite. Et c’est une véritable intimité avec Dieu qu’elle vit, aussi loin qu’elle peut s’en souvenir, elle à qui personne n’a vraiment parlé de Dieu.

A un certain niveau, elle semble perdue, mais elle vit une expérience quasi-mystique. Comment comprendre cela, sinon en contemplant en Natacha, les premiers effets de la victoire de Dieu sur les forces de mort s’abattant sur l’innocence ? Même si son psychisme porte les traces des blessures infligées par ses bourreaux, même si cette violence reçue continue en elle son œuvre de destruction, même si la douleur est grande, dès maintenant, dans les profondeurs de son être, se vit déjà en Natacha la victoire de la vie sur la mort.

Je veux croire que sont jetées en terre, dans le cœur de Natacha, des semences de résurrection.

Je veux croire que tout acte, toute parole, tout frémissement de libération est infiniment précieux aux yeux de Dieu car la plus petite parcelle de vie, découverte, choisie et vécue au creux des plus grandes pulsions de mort participe à la victoire de Dieu sur toutes les forces de mal dans le temps et l’Eternité.

En l’Eucharistie, nous communions d’une façon très concrète à cette victoire du Christ sur la haine et la mort. Béni sois tu Seigneur pour la vie que tu ne cesses de livrer en nous, entre nous, dans ce monde en attente de justice et d‘amour.

Dimanche 18 novembre 2018

Il vient, Il est venu.

Dès le 2ème siècle avant Jésus-Christ, les apocalypses voient le jour dans la tradition biblique. Elles apparaissent souvent dans un contexte de détresse ou de persécution.

Le mot apocalypse signifie « lever le voile ». L’être humain qui souffre se demande pourquoi. Pourquoi n’y a-t-il pas de réponse au scandale du mal ? Pas de réponse ! Pas de réponse directe en tout cas ! Juste des pistes qu’il faut décrypter. Les textes apocalyptiques nous invitent à nous déplacer. Il s’agit de se placer du point de vue de Dieu qui nous invite à surplomber l’histoire de l’humanité et notre propre histoire pour relire et saisir l’enjeu. De ce point de vue, il est possible de comprendre que toute l’histoire se déroulent en lien avec ce qui se passe dans le Ciel. Dans le mal, la violence et l’injustice, Dieu n’est ni impuissant, ni indifférent. Dans la superbe vidéo que nous visionnerons après le repas communautaire, Jean Vanier est pris d’un fou rire. Il rit à la question qui surgit en lui. Es-tu le moteur dans la belle aventure de l’Arche ou es-tu celui qui est au gouvernail du bateau ? Grand fou rire, ce qu’i veut nous dire à la relecture de son histoire, c’est que le quartier général est ailleurs. Et oui, ça s’est joué ailleurs et il le sait. 150 communautés de l’Arche dans le monde et cela s’est fait parce que le moteur, le cap, les événements et les rencontres, c’est ailleurs. Jean, aussi donné soit-il, a réalisé que cela s’est passé vraiment ailleurs ; bien sûr pas sans sa disponibilité, son travail, sa pauvreté de cœur, le dépassement de ses peurs, mais l’essentiel s’est passé ailleurs.

L’histoire n’est pas une succession indéfinie d’actes et d’événements qui ne dépendraient que de nos décisions, souvent inconséquentes et liées à notre ego. Elles dépendent de l’action de Dieu en nos vies suivant son dessein d’amour pour notre humanité. Tout cela marche vers quelque chose : un objectif, un but. Les destins individuels et le destin collectif de l’humanité s’acheminent vers un «nouveau», imprévisible et impossible à dater. N’allons pas croire ce que certaines sectes qui affirment que la fin du monde est pour telle date. « Nul ne sait ni le jour ni l’heure, pas même le Fils », nous dit Jésus. C’est ce qu’on appelle la tension eschatologique qui dure depuis plus de 2000 ans. Que ce soit dans les écrits de Paul, dans l’Apocalypse de Jean ou dans les évangiles, l’annonce de la venue de Jésus en gloire s’accompagnent de deux choses: des signes d’ébranlement du monde. Ce bouleversement est le signe d’un changement, d’une rupture avec l’histoire. Un passage, une Pâque se prépare.

Le deuxième élément, c’est le jugement, annoncé dans beaucoup d’écrits apocalyptiques.

Sont décrits dans ces textes un trône où siège le juge souverain, de plus, on y trouve, comme dans un tribunal d’assises, un grand livre, des documents et des accusés. En effet comment, à la fin des temps, ne pas interpeler les prédateurs, comment ne pas nous repentir du mal que chacun d’entre nous a pu commettre? Le jugement, nous n’avons pas à le redouter car c’est l’anéantissement de ce mal dont le monde souffre et de notre propre mal.

La pédagogie du jugement, c’est de nous mettre devant l’importance de nos actes. Les actes bons sont appelés à résonner dans l’Amour de Dieu et les actes mauvais à être jugés pour nous en libérer, au cœur de notre repentir et dans la miséricorde de Dieu. Ce tri s’opère au cœur d’un Amour exigeant pour que tout notre être soit purifié en vue d’être en harmonie avec Dieu lui-même. Daniel Ange parle de ce temps comme un temps de sanctification car nous seront jugés sur l’amour mais aussi sur le non-amour par l’amour pur de Dieu.

Cependant, Jésus dit aussi : « Amen, je vous le dis: cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. »
Jésus parle de deux événements, l’un que l’on peut dater et qui a déjà eu lieu et un autre qui fait partie l’attente eschatologique.

L’événement imminent quand Jésus parle, c’est la Passion et la Résurrection du Christ qui épouse l’humanité jusqu’en la blessure du monde. Dans le documentaire sur l’Arche, Jean Vanier raconte comment Dieu l’a travaillé, comment il l’a guidé vers les handicapés, les plus pauvres, ceux que l’on veut effacer, exclure, ceux que l’on méprise : Ce qui compte pour Dieu c’est l’accueil de l’autre aussi différent soit-il. Ce qui est au cœur de la vie chrétienne, c’est l’unité que permet la compassion compétente. Comment acquérir cette compassion compétente ? L’engagement, l’expérience de l’accueil, une formation autour de cette expérience, des connaissances en science humaine, la capacité de travailler en équipe et en réseau mais surtout un cœur de pauvre qui se laisse enseigner.

L’Amour de Dieu révélé en Jésus-Christ change notre regard et nous incite à fonder notre vie sur le Verbe de Dieu qui est le fondement de tout. Il est la Parole vivante mais pas seulement, Il est aussi un visage que nous pouvons voir: Jésus de Nazareth.

Cette vision de l’adorable visage du Christ est un chemin de liberté. Déjà maintenant nous pouvons plonger notre regard dans le sien. Pas de vie sans souffrance. Christ a traversé la souffrance et notre souffrance n’est plus l’ennemie de notre liberté. Certes, nous luttons pour en être libre. Mais nous luttons, non pas contre mais avec cette souffrance qui nous habite et dont nous ne voulons pas être l’otage. Grâce au Christ qui a visité la contingence de notre humanité blessée, notre terre est appelée à devenir œuvre d’art. Alors nous comprenons que nous sommes infiniment plus que tout ce que nous pouvons imaginer, que tout ce que nous pouvons appréhender.

Il y a en nous une parcelle d’éternité dans un vase d’argile. « L’homme passe infiniment l’homme ». Et c’est un écartèlement. Accepter cette tension intérieure de l’homme fait pour l’infini et qui cependant doit vivre la contingence, c’est vraiment consentir à ce que nous sommes : des êtres de chair ouverts à L’Esprit et appelés à la Résurrection.

Dimanche 4 novembre 2018

Shema Israël

C’est vrai que l’articulation entre le judaïsme et la foi chrétienne est un enjeu important pour rendre compte des racines de notre foi. L’Eglise y voit « une continuité avec des éléments de rupture ». Les textes de ce dimanche nous poussent à approfondir cette question. Tout d’abord, le texte tiré du Deutéronome.
« Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de toute ton âme et de toute ta force. »
Jésus cite ce texte pour répondre au scribe qui l’interroge : « Quel est le premier de tous les commandements ? »
Jésus complète par un verset tiré du Lévitique : « tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Le Lévitique, c’est le livre de la loi de sainteté de Dieu qui commence par ses mots: « Soyez Saint car je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu. » C’est une invitation donc à contempler la sainteté de Dieu et déjà dans l’Ancien Testament cette contemplation est indissociable de l’amour du prochain. Car le Lévitique égrène ensuite toute une série de commandements d’amour du prochain dont le verset cité par Jésus.
Accord parfait ! Citant Osée, le scribe remarque que le double commandant qui, en fait, n’en fait qu’un « vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. »
Au cœur de toutes les polémiques et de l’hostilité des autorités religieuses qui en veulent à sa vie, un havre de paix : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.

Toujours dans la continuité de l’Ancien Testament avec le Nouveau Testament, nous pouvons chercher à mieux comprendre ce qu’entend le Lévitique par aimer car comment répondre au commandement de l’amour? Peut-on faire surgir de notre cœur un quelconque sentiment d’amour. Le Lévitique l’avait bien compris. Il ne s’agit pas de ressentir de l’affection mais de poser des actes. On peut décider de poser certains actes même dans des situations où aimer l’autre est difficile ou même impossible. N’est-ce pas cela aimer son ennemi ? Le Père Claude a été responsable de notre communauté trinitaire de Paris. Un religieux qui a maintenant quitté l’Ordre l’avait pris pour cible. J’ai admiré la manière dont il a résisté à ce harcèlement : il n’a cessé de poser des actes de bienveillance, tout en maintenant le cap du bien de la communauté. C’est bien ce que nous demande le Lévitique. Aimer, c’est poser des actes. C’est pourquoi une haie
de préceptes concernant l’amour du prochain protège la substantifique moelle de la Torah, c’est à dire l’invitation à contempler la sainteté de Dieu.
Lytta Basset, lors d’une conférence à Saint Leu avait expliqué qu’il n’y a dans la bible aucune injonction à aimer. Les verbes qui invitent à entrer dans le chemin de sainteté et d ‘amour ne sont jamais à l’impératif mais à l’inaccompli, pour nous le futur. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… ». C’est dire l’importance donné, dans la bible, au temps du cheminement.
Une patiente de l’hôpital psychiatrique de Sainte Anne m’a fait toucher du doigt, lors d’une messe où était lu le texte de ce dimanche, l’importance de reconnaître notre difficulté à aimer. A peine avais-je fermé l’évangéliaire, qu’elle cria : « comment voulez vous que j’aime mon prochain, alors que je n’arrive pas à m’aimer moi-même ? C’est une grande question que nous avons débattu ensemble avec tout le groupe qui assistait à la messe. Au bout d’un certain temps, est apparu comme une évidence que nous ne pouvions pas y arriver seuls tant la mésestime de soi était grande chez chacun. Se laisser traverser par un amour inconditionnel, immérité, gratuit était nécessaire pour grandir dans l’estime de soi et dans l’amour du prochain. C’est bien de l’Amour-Source, celui de Dieu dont il s’agit. Les prophètes l’ont proclamé, eux qui ont annoncé un Dieu amoureux de son peuple.

Quelle belle continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament ! Mais où est la rupture ?
La rupture entre le judaïsme et le christianisme a mis beaucoup de temps, plusieurs siècles. Les pères apostoliques des premiers siècles étaient très liés au judaïsme. Il faudra attendre le Moyen-Age pour qu’il y ait une véritable séparation. Pourquoi ? Après beaucoup d’années de méfiance, parfois même de mépris, le fossé s’est agrandi.
Les chrétiens ont perdu de vue l’importance des racines juives de leur foi. Le peuple élu a pu s’enfermer dans une intelligence très rationnelle de la révélation. Les talmudistes ont compliqué le corpus des Ecritures par l’interprétation des interprétations sur les commentaires des textes. Dieu est simple quand on le contemple avec simplicité. Le passage de la contemplation intellectuelle, à la contemplation existentielle n’est pas aisé. Dans la contemplation existentielle le cœur est concerné et cela peut perturber le confort intellectuel que procure la rationalisation des Ecritures.
Pourtant la contemplation existentielle est le seul moyen d’accueillir en Jésus le Royaume où s’accomplit ces deux commandements de l’amour qui n’en font qu’un : accueillir le Royaume où l’amour est roi, l’amour de Dieu nourrissant l’amour des autres.
« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bonté. Tout m’a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler.
Laissons Dieu exister dans notre existence. C’est à une contemplation existentielle qu’il nous faut inviter.
Appréhender la question de Dieu non pas d’une manière essentiellement intellectuelle mais par une démarche qui part du cœur et qui accueille une force de transfiguration de la vie des gens l’a profondément touchée. La contemplation existentielle prend en compte le désir de Dieu de nous rejoindre dans notre humanité, jusqu’en nos blessures. C’est que Christ fait à Gethsémani, dans Sa Passion.
Contempler Jésus dans son combat à Gethsémani, dans le don de lui-même sur la croix ne peut se faire dans un esthétisme intellectuel. Tout simplement parce que ce n’est pas esthétique. Seule une contemplation existentielle peut nous permettre de comprendre la largeur, la profondeur, et la hauteur de l’Amour de Dieu. Seule une contemplation existentielle qui cherche à vivre de cet Amour peut nous permettre de nous engager dans le chemin de l’amour du prochain non pas seulement par des paroles et des sentiments mais en actes et en vérité.

Jeudi 1 novembre 2018

Toussaint 2018

Le mot sainteté fait peur. Pourquoi cette appréhension ? Certains saints font peur : trop ascétiques, trop héroïques, trop saints. Certains canonisés peuvent même sembler étranges, trop troublés, trop tourmentés. D’autres encore, pas si saint que cela. Saint Bernard par exemple. « Tuer un maure, n’est pas un homicide mais un « malécide » car on tue le mal. » Il prêchait alors les croisades.

A un examinateur du séminaire, j’avais fait part de mes réserves par rapport à la sainteté de mon saint patron. Il avait longuement réfléchi avant de me répondre : « il a été canonisé malgré cela. »
J’ai pu saisir grâce à sa réponse que la sainteté n’était pas la perfection, que la sainteté était liée à un contexte, une culture, une époque.

Ce mot fait peur aussi à cause de la souffrance qui y est associée. Pratiquement tous les saints ont beaucoup souffert. Comme si le prix à payer pour être saint, c’était la souffrance. J’ai compris au cours de mon expérience d’accompagnateurs que ce n’était pas la souffrance qui faisait la sainteté mais la manière dont on la traversait. La sainteté, ce n’est pas la perfection mais la vulnérabilité ouverte, offerte. Dieu craque d’amour pour celui qui a été maltraité, humilié, percuté par la violence. Au ciel quand nous le verrons face à face, plus de souffrance. Dieu essuiera toutes larmes et éclatera alors la victoire du Ressuscité. Le texte de l’Apocalypse proclame cela. Les 144000 qui ont reçu le sceau sur le front disent cela. Il s’agit des baptisés. La foule immense dont parle Saint Jean dans sa vision, c’est toute l’humanité. Ils sont sauvés parce qu’ils « viennent de la grande épreuve, parce qu’ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »
La grande épreuve, c’est la victoire de Jésus par la croix, sur la souffrance. C’est d’une façon éminente la sainteté de Dieu, son Amour qui va jusqu’à l’extrême de l’amour. L’Eglise que nous sommes, nous baptisés, Corps du Christ, continue dans les épreuves que nous traversons à participer à la victoire du Christ qui certes a tout accompli mais il reste que cela soit accomplit dans toute l’humanité, par notre chair et jusqu’en notre chair blessée. Sainte blessure d’où peut jaillir les béatitudes. Baptisés, nous sommes reliés directement à la Passion et la Résurrection du Christ. Par l’Eglise, tout homme de bonne volonté est aussi relié par des moyens que seul Dieu connaît à la Passion et la Résurrection du Christ. D’où notre responsabilité de vivre pleinement notre baptême. qui fait de nous des prêtres, prophètes et rois.

Comment comprendre que les béatitudes peuvent jaillir au creux d’une vulnérabilité, d’une pauvreté ? Comment comprendre le paradoxe des béatitudes que l’on peut résumer dans cette formule « heureux les malheureux. Dans notre monde, ceux qui pleurent, ceux qui sont persécutés, ceux qui sont, artisans de paix ne sont pas les plus heureux !

Deux précisions importantes pour rentrer dans la complexité des béatitudes :
– d’abord de quel bonheur s’agit-il ?
– ensuite comment accueillir ce bonheur dans l’épreuve
Spontanément nous cherchons le bonheur dans l’assurance que procurent l’avoir, le pouvoir et une soif de reconnaissance immodérée.
Jésus nous parle d’un bonheur, d’un autre ordre, un bonheur qui peut se vivre plus particulièrement au creux même de la pauvreté de cœur, de la détresse, de la soif de justice et de paix, du renoncement à entrer dans la violence de l’autre.

Ce bonheur est à chercher en Dieu, dans la foi. Ce que célèbrent les béatitudes, c’est le bonheur de Dieu de communiquer son propre bonheur. L’amour gratuit de Dieu, voilà la source des béatitudes. Cet amour ne reste pas enfermé dans un sanctuaire, il a pour nature de se communiquer, de transformer en profondeur les cœurs, de libérer de l’égoïsme, du retour sur soi, des velléités de puissance et de possession. Bref, c’est cet amour là qui construit la communion. Nous fêtons la sainteté, nous fêtons la communion des saints, la communion des hommes et des femmes de toutes langues, histoires, cultures, cherchant à vivre de l’amitié, de l’amour, de la beauté, de la joie, de la miséricorde et du pardon. C’est la fête de la communion, de la relation d’unité entre tous les hommes.

En fait, c’est le Ciel qui rencontre la terre. La rencontre du divin et de l’humain, souvent blessé, nous des-installe, nous sort de nous même. Être heureux du bonheur des béatitudes sur la terre, c’est recevoir le bonheur du Ciel, non au sommet de la montagne de notre superbe mais en creux, dans la vallée de nos dénuements. N’ayons pas peur de nos insuffisances, de nos frustrations, de nos humiliations, même de nos échecs. C’est tout cela que Dieu veut visiter. Nous sommes pauvres, pauvres en notre esprit propre, nous les épuisés du souffle; c’est précisément dans ce creux, cet espace disponible pour autre chose que nous-mêmes qu’il nous faut accepter de recevoir le Royaume. Le Royaume, c’est le Christ et pour nous, accueillir le Royaume, c’est le suivre. Le Royaume des Cieux est là, au creux même de notre terre qui s’ouvre à la Présence de Dieu, à la logique du Christ pour lequel le mal n’a aucune adhérence, qui reçoit tout du Père. Alors, pour nous, maintenant, en quoi est-ce vital pour nous?
Le Royaume maintenant, c’est ce qui nous est donné dans deux béatitudes dans la première et la dernière qui font inclusion, c’est dire leur importance.
Heureux les Pauvres de cœur, car le Royaume de Dieu est à eux…

Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le Royaume de Dieu est à eux…
C’est dire la place centrale du Royaume dans notre bonheur aujourd’hui. C’est au présent. N’oublions pas aussi qu’il se reçoit en creux, au creux de la « pauvreté du cœur » au creux de la « persécution pour la justice ». De creux en creux, vers des creux qui ne seront comblés que quand nous le verrons face à face.

Toutes les autres béatitudes sont au futur. Il y a donc en plus du présent un futur. Le Royaume est là et il vient à nous, de notre avenir, du Christ qui est notre présent et notre avenir, du Christ qui s’est révélé il y a plus de 2000 ans mais aussi du Christ en gloire. Notre présent, la présence du royaume en nous vient de la résurrection du Christ.

L’avenir de notre propre béatitude vient vers nous, vient à nous, vient en nous. À chaque instant, notre présent est visité par l’Esprit qui ne cesse de livrer en nous le Ciel en notre terre.

Dimanche 28 octobre 2018

Bartimée

Si l’on compare Bartimée et le jeune homme riche, quel contraste :
– pas d’insistance sur l’identité du jeune homme riche. Pour Bartimée, au contraire grande insistance sur son identité. Mais oui le fils de Timée, Bartimée !
Autre différence :
– aucune exigence de la part de Jésus pour Bartimée.
Seulement comme une évidence qu’il peut le suivre alors que le jeune homme riche s’en va tout triste.

Jésus suivi des disciples et d’une foule, précise Marc, entame la dernière étape avant Jérusalem.
Pour la troisième fois Jésus a annoncé sa Passion « Le Fils de l’homme est venu non pour être servi
mais pour servir et donner sa vie en rançon (libération) pour la multitude ».

Jésus s’apprête à rentrer dans la nuit de Gethsémani, dans les profondes ténèbres de sa Passion.
Lui la lumière comme le raconte St Jean dans son Evangile est confronté aux ténèbres.
« Il nous faut réaliser l’action de celui qui m’a envoyé, pendant qu’il fait encore jour ;
déjà la nuit approche, et personne ne pourra plus agir.

Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »
Lumière et ténèbres se confrontent. Amour et haine, vie et mort s’affrontent.
Cet aveugle est déjà le symbole anticipé de la victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine.

Il est connu cet aveugle dans la première communauté chrétienne. Dans la prédication apostolique
de la toute première Eglise, C’est une invitation à aller rencontrer le très connu Bartimée ;
allez le voir, lui-même vous racontera comment il a bondi à l’appel du Christ.
Il vous dira qu’il avait entendu, du fond de sa nuit, au creux de sa misère comme un appel,
un appel capable de le faire crier éperdument. Bartimée ne voit pas, et cependant,
il a perçu par ouï-dire la présence de Jésus. Grâce au bouche à oreille, certes, mais surtout,
il l’a entendu au fond de son cœur et il a crié sa souffrance et son espérance.

Il s’est époumoné jusqu’à friser le ridicule, jusqu’à agacer, jusqu’à ce qu’on le rabroue
et qu’on lui demande de se taire. Mais Jésus l’entend, l’appelle.
Demandez à Bartimée, il vous dira comment il a jeté son manteau, bondit et courut vers Jésus.
Sûrement, vous parlera-t-il de l’importance de contacter au cœur de sa nuit, de toute nuit, un désir ;
le désir de voir, le désir de lumière. Oui en nous, au fond de notre cœur,
parfois enfouie profondément, il existe comme un pressentiment de la lumière. Le voyant, le croyant,
c’est celui qui sait discerner les lueurs de l’aube
alors qu’il est encore dans la nuit.
Dans la souffrance de sa solitude, Bartimée a découvert la présence bienveillante du Seigneur
à ses côtés. Il a si bien appris à la connaître au cœur de sa nuit, qu’il la reconnaît tout de suite
quand Jésus passe sur le chemin. Pour lui, nul besoin d’un « va, vends tout ce que tu as » :
Déjà, il jette de lui-même son manteau, c’est-à-dire tout ce qu’il a.
Il renonce ainsi à ce qui faisait sa sécurité. Il abandonne sa carapace, ses protections,
Il jette ce qui l’abritait du froid de la nuit et du regard des hommes. Il se montre vulnérable et,
lui qui est aveugle, il marche vers Jésus avec assurance. Mais Jésus retarde un peu la guérison,
car il veut que Bartimée recouvre pleinement sa dignité.
Il lui demande donc d’exprimer lui-même ce qu’il souhaite. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » ;
« Seigneur, que je voie ! ». D’une voix assurée, on l’a vu, debout, sans assistant, sans protection,
ne s’appuyant que sur la parole de Jésus, il supplie : Que je vois ! ».
La Parole a dirigé sa marche, elle contient son espérance, elle opère à présent sa guérison.

L’homme, debout et parlant, est donc sauvé par la foi qu’il a mise en Jésus. « Va », sa dignité
et sa liberté lui sont rendues.

Comme Bartimée, sachons reconnaître nos nuits :
– nuit du monde, nuit des conflits actuels qui bouleversent et agitent l’actualité,
nuit de l’épuisement de la terre.
– Nos nuits personnelles, familiales, professionnelles, relationnelles.
Comme Bartimée, sachons suppliez « Jésus, aie pitié ».
Comme Bartimée, sachons écoutez l’appel de Jésus qui s’arrête et dit : « Appelez-le… »
Comme Bartimée, sachons comprendre et exprimer notre vrai désir : « Fais que je vois »
Comme Bartimée, renouvelons notre manière de vivre : « il chemina à sa suite »
Bartimée va fonder sa nouvelle vie sur sa rencontre avec le Christ.
Fort de sa rencontre avec le sens de sa vie, il va maintenant cheminer à la suite du Christ.
Quel contraste avec le jeune homme riche dont on ne connaît pas le nom !
L’homme riche n’y a pas participé car il n’a pas été touché au fond de son être.
Bartimée, oui ! Sa réponse à l’appel de Jésus est ce saut dans la foi si bien décrit par l’évangéliste :
au cœur de la suite du Christ, il y a la rencontre vital avec lui.
Au cœur de cette rencontre, un don : celui de l’Esprit reçu dans une rencontre personnelle
avec le Christ.

En connaissez vous des Bartimées ? Pas forcément des aveugles, parfois des personnes qui enfants ont été piétinées, meurtries , humiliées et qui se débattent dans leur nuit de souffrance.
Je raconte dans mon livre, des récits de résilients, des récits de Bartimées, des résilients qui s’appuient sur la foi en Christ mort et ressuscité pour rebondir et se mettre debout.
Je terminerai mon homélie sur un exemple de récit qui n’est pas dans mon livre. Très récemment, j’ai co-animé une session pour des femmes qui ont été abusées enfants.

Comme Bartimée, une des démarches, au cours de ce séjour, a consisté à interpeller Dieu lui-même. Tout le groupe, deux prêtres, des psychologues pour rassurer, mettre en confiance, leur donner le droit de crier, comme Bartimée. L’enfant quand il est piétiné fait l’expérience de l’absence de Dieu. Il déconnecte de son corps, de ses sens et fait l’expérience douloureuse de la rupture sensible avec Dieu lui-même. Dire son incompréhension à Dieu, vécu par l’enfant comme absent, indifférent est une première étape. Ecrire, crier devant la croix, y coller le texte ou le dessin qui exprime l’incompréhension, le ressentiment et même la colère vis à vis de Dieu est libérateur. Une autre démarche, encore plus douloureuse mais aussi libératrice, c’est l’expression, de la colère aux prédateurs, aux bourreaux. Crier là aussi, déchirer du papier, du carton, du polystirène, frapper avec une batte de base-ball sur un immense carton rempli de chiffons, tout en interpellant le bourreau a été douloureux certes mais toutes se sont senties plus légères.

Comme pour Bartimée, il fallait être en sécurité : un groupe et le Christ lui-même. Nous avons repris tout cela le soir même dans la méditation des textes de Gethsémani et de la Passion. Dieu ne veut pas de la souffrance innocente et scandaleuse. « Que cette coupe s’éloigne de moi. » A Gethsémani, Jésus s’appuie sur Jacques, Jean et Pierre qui sont accablés dans cette nuit obscure. Puis la phrase du Christ, non pas ma volonté mais ta volonté. Pour Dieu, sans idée du mal, impossible de comprendre le scandale du mal innocent mais justement en Jésus, Dieu visite ces ténèbres pour que la lumière, ne manque jamais à l’enfant innocent, même si c’est de nuit. Au creux de la blessure, la lumière. C’est cette lumière qui a permis à Bartimée de bondir.

C’est cette lumière qui fait que ces femmes, jetées enfants dans les ténèbres puissent rebondir et entendre ces mots que je dis souvent quand c’est possible : Dieu craque d’amour pour tous les enfants piétinés, Dieu craque d’amour pour vous.

Que dans cette Eucharistie, nous puissions nous laisser aimer par ce Dieu d’amour libérateur et guérissant.