Interview du père Bernard-Marie GEFFROY

«Sortir de l’enfermement intérieur» : les conseils du père Bernard-Marie Geffroy pour survivre aux temps du Covid-19

LES CHEMINS DE LA RÉSILIENCE

– Ils ont comme philosophie de vie l’idée de résilience et de dépassement de soi. Leurs métiers et leurs passions interrogent ces forces invisibles qui nous guident en situation de crise. Entretiens avec des personnalités qui ont dû, un jour, puiser au fond d’eux-mêmes les ressources de la résilience.
Par Margaux d’Adhémar

L’année 2020 a mis l’humanité à rude épreuve. Le coronavirus est entré dans l’histoire comme un bulldozer, roulant sur nos certitudes. Il a fallu renoncer à des rêves et des projets. À quoi se raccroche-t-on en temps de crise ? Escaladeur, marin, prêtre – toute la semaine, Le Figaro interroge ceux qui ont dû, un jour, puiser au fond d’eux-mêmes les ressources de la résilience.
Prêtre catholique et religieux de l’Ordre des Trinitaires, Bernard-Marie Geffroy est notamment aumônier d’hôpitaux psychiatriques et de la prison Château-Thierry dans l’Aisne, dédiée aux criminels atteints de folie. Il a publié un ouvrage portant sur la résilience, «Conversions : Spiritualité et psychologie dans l’épreuve».

LE FIGARO. – Quels éclairages votre expérience en tant que prêtre et vos explorations intérieures donnent-ils à la crise que nous vivons actuellement ?

Bernard-Marie GEFFROY. – Ce monde souffre du Covid, certes, mais ce monde souffre aussi de l’absence de sens. Le monde occidental est malade de finalité. Avec le Covid-19, nous sommes réduits à un essentiel qui a été décrété par des règles. Or, cela ne suffit pas pour faire sens. Comme dit le prophète Jérémie, on construit des citernes mais on a déserté la source. Ce monde n’offre pas d’autres perspectives que le matérialisme.

De fait, aujourd’hui, les choses ont été divisées entre celles qui sont essentielles et celles qui sont non-essentielles. La culture et la spiritualité ont été jugées comme étant non- essentielles. Résultat : nous sommes privés de relationnel et enfermés en soi. Or, la naturehumaine, c’est précisément le relationnel : comme Dieu est relation, à l’image de Dieu, nous sommes ancrés dans le relationnel.

Vous souvenez-vous d’une situation où vous pensiez avoir atteint vos limites ? Où vous vous êtes retrouvé dans une situation de crise ?

Autrefois, j’étais athée. J’étais alors instituteur. J’avais 30 ans. J’ai été confronté à une épreuve affective, qui m’a mis au troisième sous-sol. J’ai cherché dans les livres le sens de cette épreuve, une ouverture au-delà de moi-même. C’est finalement chez les moines que j’ai fait l’expérience du sens, de la finalité.
Au départ, je suis allé dans un monastère pour travailler un concours. Mon métier d’instituteur ne me passionnait plus et je voulais devenirkinésithérapeute. Une fois arrivé au monastère, je ne voulais pas mettre les pieds dans l’abbatiale. J’avais à l’époque une vision très négative des moines, ils étaient pour moi le symbole d’un passé révolu. Mais j’étais touché par leur accueil et frappé par la lumière qu’ils dégageaient. Un matin, je suis finalement descendu dans l’abbatiale. L’odeur de l’encens et la liturgie m’ont rappelé plein de souvenirs d’enfance. Au moment de la consécration de l’eucharistie, j’étais complètement retourné : ce qui se passait sur l’autel se passait dans mon cœur, et cette puissance de vie sur l’autel a ouvert mon être souffrant au ciel. J’étais tellement bouleversé que je suis parti sans adresser la parole au moine.
Quand j’ai été ordonné prêtre quelques années plus tard, j’ai voulu célébrer ma première messe ici : lors de l’homélie, j’ai dit que je devais à cet endroit ma consécration. Ça a été fondateur pour moi : aujourd’hui je suis un accompagnateur, j’accompagne ceux qui cheminent dans une démarche spirituelle.

Vous avez été au contact de prisonniers et de patients internés en psychiatrie. Ces personnes sont dans des états de détresse extrême. Comment réussit-on à survivre dans ces situations ?

Face à une crise ou à un traumatisme, l’être humain doit être capable de savoir ce qu’il en fait, c’est essentiel. J’ai en effet beaucoup travaillé sur les traumatismes, notamment en prison et dans des hôpitaux psychiatriques, et je me suis rendu compte qu’ils pouvaient être des lieux de croissance et de jaillissement de vie.

Quand il n’y a plus rien, quand nous sommes dans la nuit, nous pouvons contacter au fond de nous-même le centre de l’âme, un sanctuaire inviolable de puissance de vie et de résilience. Ce sanctuaire doit être utilisé comme un levier pour sortir de cet enfermement intérieur. Le fait de visualiser le centre de l’âme, ce sanctuaire, cette force, cette solidité, l’éternité en nous, c’est aussi un rivage ouvert sur l’éternité de Dieu. À défaut de pouvoir sortir physiquement, que nous soyons derrière les barreaux d’une prison ou confinés chez soi, pourquoi ne pas aller chercher cette ouverture aux autres et à Dieu à l’intérieur de
nous-mêmes ? Si je suis enfermé dans une pièce et que je ne peux pas sortir, il faut ouvrir la porte du sens ! Celle-ci, je peux l’ouvrir, et ça change tout. Un courant d’air suffit pour m’emmener ailleurs dans mon mal-être.

À quelles forces intérieures faites-vous appel pour accéder à ce sanctuaire que vous évoquez ?

Quand nous sommes en souffrance, il est vrai qu’il n’est pas facile d’effectuer cette plongée en soi pour accéder à ce sanctuaire. On peut être accompagné, mais on peut aussi essayer de mettre des mots sur la douleur que l’on ressent et sur ses causes. Il s’agit de se tourner vers une prière spontanée : ce qui a été ouvert en nous, on l’ouvre aussi à l’Esprit saint. Il faut se laisser visiter par un au-delà de nous-même.

Comment définissez-vous la résilience ?

À l’origine, le terme «résilience» vient de la métallurgie : il désigne un métal qui retrouve sa forme après une torsion. Ce qui signifie qu’un être résilient est un être qui, malgré les traumatismes, sait rester dans une certaine vitalité. Cette vitalité peut très bien, comme le dit Boris Cyrulnik, se laisser traverser par cette force de vie qui porte ma vitalité, comme le surfeur est porté par la vague. Autrement dit, le résilient c’est celui qui réussit à prendre la vague. Mais la comparaison avec la métallurgie a ses limites : quand on est résilient, on ne revient pas de la même manière.

Quels conseils donneriez-vous aux Français pour surmonter cette crise ?

Il faut saisir cette crise comme une opportunité pour trouver une autre finalité que le matérialisme : il faut comprendre que notre vie n’est pas réduite au matériel mais reliée à quelque chose de transcendant, à une ouverture, à la grandeur du Créateur. Il faut chercher la finalité, le sens, la source. La foi peut être un levier pour grandir et sortir de la confusion, car la foi, c’est précisément l’ouverture.