Homélie du 15 mars 2020 3ème dimanche de Carême

par le frère Thierry Knecht


L’image n’est rien
la soif est tout.
Ecoute ta soif.

Voilà un slogan publicitaire d’une célèbre boisson. Qui s’est sans doute inspiré de l’Evangile de ce jour et sans payer évidemment de droits d’auteur. La soif est tout. Celui qui habite dans un pays chaud, qui n’a que l’eau qu’une fois par semaine dans sa propre maison ou qui doit monter 5 étages avec son pack d’eau en bouteille, le sait bien. La soif est tout, celle matérielle faite d’eau, l’or du futur qui sera à l’origine de nouveaux conflits entre les peuples mais aussi la soif du cœur, celle qui permet de vivre, qui désaltère le besoin de bonheur que nous portons dans le cœur. Ne le dites surtout pas à la Samaritaine, ni à Dieu.

Dieu a soif.
Fatigué, il s’assied au puits de Jacob, à Sikar, à l’heure la plus chaude de la journée. Il a soif d’eau mais beaucoup plus, il a soif de la foi de la femme qui vient prendre l’eau à cette heure improbable, pour n’être vue par ses concitoyens. Dieu est fatigué.
Fatigué de chercher un homme qui le fuit. Fatigué de chercher un homme qui se désaltère avec de l’eau salée, qui croit savoir, qui cherche des réponses. Qui meurt de soif à quelques mètres de la source claire et limpide.
Dieu est fatigué mais peu importe. Il attend cette femme, symbole de la Samarie, terre de mélange, résidu de la gloire du Royaume du Nord d’Israël, rasé au sol par les Assyriens en 722 et, qui depuis lors est une terre de metissage, de nombreuses fois. Le Dieu des frontières nous pousse dans la difficile terre des samaritains, en risquant la vie, juste pour reconquérir l’épouse.
Depuis quand un homme, juif de surcroît, adresse-t-il la parole à une femme samaritaine ? La dureté et la méfiance de la samaritaine s’expliquent par deux raisons historiques et une personnelle : il y a la haine entre juifs et samaritains, une longue histoire faite de mépris et de méfiance ; puis une femme, il n’est pas autorisé de parler en public et enfin elle n’a pas le désir de recevoir d’ultérieures attentions d’un homme. Cette femme, pense que cet homme est en train de l’aborder.
Et elle a parfaitement raison : l’Epoux veut reconquérir l’épouse blessée. Jésus le sait et il insiste, avec délicatesse, proposant un dialogue qui est un chef d’oeuvre de pédagogie. Lui il n’est pas seulement un juif, il est celui qui peut la désaltérer en profondeur. La femme, prudente, demande des lumières et en reçoit. Si, cet étranger se présente comme quelqu’un qui cache un secret.
L’ambiguité entre l’eau de la source et l’eau intérieure perdure : Jésus arrive à dire qu’au contraire de l’eau stagnante il peut donner l’eau de source, de plus, que la femme peut devenir elle même une source. Folie ou vérité.
Bien, cela est fait, la femme demande l’eau qui désaltère. Et Jésus, brutalement, change de discours : revient avec ton mari. Elle n’a pas de mari, la femme vit une vie affective fragmentée : elle avait eu cinq maris. En Israël seul l’homme peut divorcer ; cette femme a été abandonnée quatre fois. Mais Jésus n’est pas un moraliste, il veut amener cette femme à comprendre qu’elle a cherché durant sa vie à se désaltérer avec de l’eau salée d’une affectivité possessive et illusoire, de rapports non authentiques et frettolosi. Comme nous le faisons nous aussi et ce monde qui pense que l’amour soit un produit d’échange , une panacée aux solitudes, un raccourci.
Si l’amour ne vient pas et ne nous pas à Dieu, souvent il devient une idole qui le substitue.
ET la femme est troublée : l’Epoux lui demande raison de son infidélité. Et fuit et la jette sur le religieux !
Combien de fois m’est il arrivé ! Face à la foi, nous préférons parler de religion. ET Jésus y est, l’aide. Non, Garizim n’est pas le lieu où il faut adorer Dieu et même pas Jérusalem, Dieu doit être adoré en esprit et en vérité. Une demande ingénue de la samaritaine car le temple des samaritains avait été détruit par les juifs un siècle plus tot. Et, de plus, elle comme pécheresse publique, elle n’aurait jamais pu y mettre les pieds. ET Jésus la rassure : Dieu la cherche toujours et partout même si elle ne peut faire la communion. Et la femme vacille.
Qui donc est cet homme qui lui promet le don du bonheur, qui la respecte, qui exige une authenticité absolue ? ET Jésus lui donne la réponse : Je Suis. Jahwé.

Et le sceau reste à terre, vide. Le cœur au contraire lui est plein. La pécheresse publique, la fille fragile, la femme facile, maintenant coure vers ceux qu’elle fuyaient et sa limite devient l’occasion d’une annonce : il y a quelqu’un qui a lu ma vie, ne serait-il pas, lui, le Messie ? Les samaritains sont ébahis : que dit cette femme de rien ? Ils vont et ils voient. Et ils croient : ainsi nos propres limites deviennent occasion de l’annonce de la bonne nouvelle !