Homélie du 1er mars 2020 1er dimanche de Carême

par le frère Thierry Knecht


Enfin un peu de désert. Au moins, nous essayerons de le vivre pour lever les yeux, pour retrouver notre âme. Nous essayerons, car en réalité, on peut le dire, nous sommes continuellement et tous les jours dans le désert. Nous savons ce que signifie avoir faim. Avoir faim d’argent, de sécurité, de lumière, de paix, d’amour et pour être honnête nous pouvons dire que nous avons une grande faim.

Nous savons aussi ce que signifie de choisir et de faire des erreurs. Et nous laisser emporter par la vague de ce que les autres pensent et ou veulent pour vous. Aujourd’hui, on n’ose plus les appeler tentations mais des choix. Parce que ce mot, tentation, rappelle des images brillantes et usées des années 70, dans lesquelles même la sexualité avait une certaine modestie et la transgression était innocente.

Alors, pourquoi faisons-nous le Carême? Si nous sommes déjà au désert, si nous sommes constamment éprouvés, pourquoi avons-nous besoin de ces quarante jours ? Comment se distinguent-ils de la vie quotidienne habituelle, épuisante et inutile ? Pour deux raisons.

D’abord, parce que nous ne sommes pas seuls à entrer au désert. Le Nouvel Adam, le Seigneur Jésus est avec nous. Puis, c’est son Esprit qui nous anime, et non pas les événements de la vie. Oui, nous voulons faire désert.

Les exégètes nous disent que cette page résume toute la vie de Jésus. Comme si Matthieu concentrait ici la lutte et le travail de discernement auxquels le Seigneur a dû constamment faire face tout au long de sa vie. Comme si l’évangéliste voulait réorganiser les différentes tentations auxquelles nous sommes soumis. Et réaffirmer certaines données essentielles.

La première est que nous ne sommes pas seuls dans le désert de la vie. Jésus est solidaire, il est avec nous. Il le fait comme un choix. Parce que le désert peut être soit un abîme de solitude ou le lieu pour mieux se retrouver, un enfer ou un paradis. Nous pouvons vivre les événements de la vie avec un regard radicalement différent. Positif ou négatif. Comme une condamnation ou comme une opportunité. Jésus nous apprend lui à faire de la fatigue de choisir une grâce. Et pour faire face aux tentations.

J’aimerais parler des tentations mais, je dois d’abord parler du diable. Il est difficile aujourd’hui d’en parler avec un langage évangélique, clair, simple. Notre monde est un monde qui se moque de certaines réalités. Il en fait des films, souvent à succès. Et même avec des chrétiens, il est difficile d’en parler, car beaucoup soit ont peur de lui ou en sont obsédés et le voient partout, le plaçant au centre de leur foi. Mais au centre de la foi, il y a le Christ victorieux.

Je veux donc ce matin être clair et évangélique. Le diable existe et il agit. Il travaille dans les ténèbres. Son but est de nous éloigner de Dieu et de nous-mêmes. Mais il n’envahit pas, sauf cas exceptionnels et sporadiques, des personnes. Il propose toujours des propositions convaincantes, raisonnables et continues. Il n’aime pas les couleurs fortes, il préfère les gris. Et les brumes, où même le mal peut sembler acceptable, un moindre mal. Et il fait son travail de diabolos, celui qui divise. Il nous sépare de Dieu, il nous sépare de nous-mêmes et il nous éloigne de la lumière.

Matthieu résume en trois grands thèmes les tentations et les choix que chaque disciple est appelé à faire dans sa vie. La tentation du pain, celle de se laisser prendre par les soucis quotidiens, comme le travail, l’hypothèque, la maison, des objets qui deviennent à la fin des idoles et nous font perdre le sommeil. Nous devons être et restés réalistes, mais en nous souvenant de chercher d’abord le Royaume et tout le reste nous sera donné en surplus.

La tentation d’un messianisme avec effets spéciaux et extraordinaires, la foi en un Dieu interventionniste, qui fait des miracles, qui émerveille, qui éblouit. Malheureusement, tant recherché, même par beaucoup d’entre nous qui recherchons le Dieu des merveilles sans voir le Dieu qui s’incarne dans de petites choses.

La tentation de faire des compromis avec le pouvoir, avec tout le pouvoir. La voie du milieu édulcorant ainsi l’Évangile, pour le rendre inoffensif.

Et le diabolos est habile, il est raisonnable. Il n’a pas peur de citer la Parole, qu’il connaît ! Il propose des voies raisonnables et plausibles à Jésus. Bien sûr : il est important de prendre soin de son corps, de surprendre des gens avec des miracles, de conclure des accords avec les puissants, religieux et politiques de l’époque et cela aurait eu un plus grand résultat que cette médiocre vie publique, un feu de paille. Mais Jésus a choisi. Lui il n’a pas comme Satan la Parole de Dieu sur les lèvres, mais il l’a dans son cœur. Il sera un messie sans compromis, mais qui pénétrera le cœur et l’âme.

Israël dans le désert a appris à devenir un peuple. Libéré mais pas encore libre, c’est au désert qu’il fait l’expérience de ses limites. Jésus, lui, poussé par l’Esprit, a profité de ce temps de grâce pour décider quel genre de Messie devenir. Nous, maintenant et ici, profitons de ce désert qui nous est offert pour regarder quels hommes et quelles femmes nous sommes devenus.