Homélie du 4 eme dimanche de l’Avent.

Nous voici arrivés au dernier acte de notre mini cheminement de conversion : après nous être posé la question si Dieu était déjà né dans nos cœurs, après avoir cherché à nous situer et à comprendre la direction que prenait notre vie et éventuellement la corriger, nous avons rencontré cette grande figure de Jean qui malgré la faillite apparente du Messie – était invité à ouvrir les yeux et à observer les signes du salut semés dans nos vies par Jésus.

Voilà qu’aujourd’hui, à quelques heures de la grande nuit, la Parole nous présente un second personnage, extraordinaire lui aussi, et qui vit l’attente : Joseph de Nazareth. Pauvre Joseph, il lui arrive des belles et des pas mûres dans la vie ! D’abord, Dieu lui ravie sa promise, puis il fatigue – lui le charpentier habitué aux planches et aux clous – à comprendre cet enfant aussi extraordinairement ordinaire et cette épouse très aimée toute enveloppée du mystère. Enfin, nous les chrétiens qui avons cherché à combler les trous béants de sa biographie, comme si ce que nous disait les évangiles sur Joseph ne suffisait pas. Et nous en avons rajouté une couche en inventant une figure improbable de charpentier silencieux de Nazareth tous simplement pour satisfaire notre imagination et curiosité. De lui, l’évangile nous livre essentiellement trois données largement suffisantes pour notre cheminement de chrétien.

Avant tout, Matthieu commence son évangile avec une fastidieuse liste généalogique allant d’Abraham jusqu’à Joseph en passant par David. On y trouve des noms de saints et de pécheurs, de grands personnages et d’illustres inconnus, comme pour nous dire que Joseph est un élément de la promesse, de cette volonté obstinée de Dieu de sauver le monde à travers l’expérience pauvre et dramatique du petit peuple Israël. Joseph est bien l’un des nôtres, certes d’extraction noble, il compte parmi ses ancêtres le roi David, mais c’est un homme simple et pauvre. Dans la logique de Dieu, les masters et les prix nobels ne sont guère nécessaires pour être des collaborateurs du salut. Dieu vient dans le monde, donc, las d’être incompris, convaincu de pouvoir se dire, se raconter, se présenter plus clairement à ces hommes obtus qui embrassent continuellement les idoles de leur émotivité typiquement adolescente. Et il a besoin d’aide : Marie, Joseph, des personnes simples, vraies et disponibles.

Entre Marie et Joseph il y a de l’amour, Matthieu comme Luc parle pudiquement de ce lien étroit entre eux. Ils sont des « époux promis », qui dans la culture d’Israël signifie beaucoup plus que simples fiancés. Pour un an, ils pouvaient vivre ensemble de manière conjugale sans pour autant cohabiter. Donc le seul à savoir que cet enfant n’était pas le sien était justement Joseph. Osons, comme nous y invite saint Ignace de Loyola, imaginer la scène, cette nuit d’insomnie de Joseph venant d’apprendre que sa promise était enceinte ? Quelles pensées le traversent ? Quelle souffrance et douleur dans son cœur trahi… Se serait-il donc trompé à aimer tout particulièrement cette fille de Nazareth ? La loi exigerait qu’il la dénonce et qu’elle soit condamnée à la lapidation. Mais Joseph l’aime, il veut la sauver, il trouve un subterfuge : il dira qu’il s’en est lassé, il la répudiera en déclarant qu’il ne veut plus comme épouse, la sauvant ainsi de la mort et du déshonneur. Matthieu, comme bon israélite, décrit cette attitude comme juste. Joseph est juste, c’est-à-dire irrépréhensible, authentique, honnête ; il ne juge pas selon les apparences, mais même blessé à mort, il sait faire taire son orgueil offensé et use de miséricorde envers la femme qu’il aime. Et durant la nuit, un songe l’invite à se fier et lui donne une clé de lecture improbable à ces événements, l’invitant ainsi à embrasser l’inédit de Dieu. Et relisez, je vous prie ! – Joseph se lève et donne raison à l’ange et prend chez lui la folie de Dieu.

Grand et illustre Joseph. Tu es un géant. Tu nous donnes aujourd’hui du grain à moudre, toi le silencieux, toi qui a été choisi comme tuteur et gardien de Dieu.

Oui, Joseph nous dit avant toute chose que Dieu, lui, est fidèle à ses promesses de salut. Il nous enseigne à être des hommes justes, droits, à ne pas juger selon les apparences, à perdre cette manie d’apparaître et de surprendre à tout prix, à avoir plus de tendresse que de justice, à entrevoir le mystère derrière des réalités apparemment évidentes. Joseph nous enseigne à avoir le courage du rêve, dans un monde désenchanté et cynique ; lui, grand rêveur, construira sa vie sur un songe, il plie sa volonté et son destin à celle de Dieu qui lui demande de mettre entre parenthèse sa vie pour laisser de l’espace à la réalisation de son projet inédit d’incarnation.