Homélie du dimanche 30 juin 2019

« Jésus est libre jusqu’au cœur de la précarité ? »

. « Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem. » Si l’on traduit littéralement : « il durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem ». Or Luc n’a pas choisi ces mots par hasard car cette expression « il durcit sa face » est un rappel du troisième chant du Serviteur (Is 50, 7) : face à la persécution, le Serviteur dont parle Isaïe dit « Je ne me suis pas dérobé… j’ai rendu mon visage dur comme pierre, je sais que je ne serai pas confondu ». « Dur comme pierre » veut dire la détermination parce qu’il sait que Dieu ne l’abandonnera pas. « Dieu ne peut m’abandonner à la mort, dit le psaume 15/16 (psaume de ce dimanche), ni laisser son ami voir la corruption ».
A un moment ou à un autre, Jésus a eu à prendre la décision de ne pas se dérober, comme dit Isaïe. On peut donc lire ce récit de Luc comme la présentation du véritable serviteur de Dieu. Luc solennellement annonce sa monté vers Jérusalem où librement, il livre sa vie pour notre salut.
Les évangiles décrivent Jésus comme un homme libre. Il y est décrit également comme soumis à son Père. Quelle sorte de soumission vit-il? N’est-ce pas contradictoire avec l’idée de liberté? Un mot permet de comprendre que c’est justement le chemin de la liberté. C’est le mot amour. C’est par amour pour son Père, par amour pour nous que Jésus durcit son visage et s’engage sur le chemin qui le mènera au Golgotha. C’est par amour qu’il vivra une certaine précarité et acceptera la souffrance de ne pas avoir un toit, une sécurité, un moment de répit, souffrance d’un ventre qui crie famine parfois, souffrance de l’humiliation, de la marginalité toujours.

Jésus a accepté par amour sa condition d’être humain vulnérable. Par son consentement à être pleinement homme, il nous invite à le suivre radicalement. Suivons le comme la priorité de notre vie. Il nous montre le chemin de la liberté qui curieusement passe par la Croix. Notre liberté passe par l’humilité. Humblement accepter que nous ne pouvons pas faire l’économie de ce que nous sommes : des êtres en sursis, à la merci d’un virus, d’un accident, d’une tragédie que nous n’avons pas vu venir.

Trois hommes dans l’évangile de ce dimanche.

Le premier veut suivre Jésus. Sait-il vraiment ce que cela signifie? La réponse de Jésus l’invite à l’humilité: du fils de l’homme annoncé par le prophète Daniel comme un être glorieux venue du Ciel à la précarité du même être n’ayant pas une pierre pour poser sa tête, quel chemin d’humilité.
Le deuxième homme ne se propose pas pour suivre Jésus. Il est appelé par Jésus. C’est l’Amour qui l’invite. Cet amour est si pressant qu’il ne supporte aucun délai, même pas le devoir le plus sacré qui soit, celui d’enterrer son père.
Le troisième est un dépassement de l’exigence imposée par Elie à Elysée qui sacrifie ses bœufs et brûle sa charrue mais qui va, cependant embrasser ses proches. L’explication d’une telle exigence,de la part de Jésus, c’est la croix. Christ par amour épouse notre humanité blessée pour l’emmener sur un chemin de liberté par rapport à la souffrance. Non qu’il l’ait supprimée mais il nous donne les moyens de la traverser.
Humilité, amour, arrachement, c’est ce que vit Jésus et d’une façon radicale. Les trois réponses de Jesus à ces trois hommes décrivent également ce qu’il vit intérieurement.

Pour nous pas de vie sans souffrance. Cependant, cette souffrance n’est pas l’ennemie de notre liberté. Certes, nous luttons pour en être libre. Mais nous luttons, non pas contre mais avec cette souffrance qui nous habite et dont nous ne voulons pas être l’otage. Les armes que Dieu nous donne: humilité, à savoir emprunter l’humble chemin du quotidien, amour, pas n’importe quel amour, c’est l’amour de Dieu qui donne des ailes qui permet sans culpabilité de faire des choix entre des devoirs essentiels, l’un est plus prioritaire que l’autre et ne souffre pas de demies mesures. Arrachement, certains renoncements sont nécessaires pour sortir de notre égoïsme qui est obstacle à notre liberté.

Etre libre, c’est ne pas être otage de la souffrance.
La souffrance que nous traversons à la suite de Jesus, devient utile pour grandir en humanité car elle est aussi le lieu de la compassion. Ma liberté ne respire bien que dans l’harmonie avec l’autre, l’harmonie jusqu’au tréfonds de l’être avec celui qui comme moi souffre.
Je reconnais ma propre souffrance et celle de l’autre mais je ne m’y résigne pas. C’est la réalité de ce que je dois travailler. Comme le potier, pour façonner ma liberté, j’ai besoin de m’approprier ma propre terre. Pourquoi rêver d’une autre terre, c’est celle-là que je dois pétrir et même chérir ! Cette terre est appelée à devenir œuvre d’art. Certes, ce sont mes mains qui agissent mais l’inspiration, le souffle vient de Dieu. Il est mon maître, mon ami, Celui qui veut faire de moi un potier, Lui le Créateur qui a fait le ciel et la terre.

Alors nous comprenons que nous sommes infiniment plus que tout ce que nous pouvons imaginer, que tout ce que nous pouvons appréhender.

Il y a en nous une parcelle d’éternité dans un vase d’argile. « L’homme passe infiniment l’homme ». Et c’est un écartèlement. Accepter cette tension intérieure de l’homme fait pour l’infini et qui cependant doit vivre la contingence, c’est vraiment consentir à ce que nous sommes : des êtres de chair ouverts à L’Esprit.
Trois niveaux en nous rythment nos vies :
– le niveau spirituel : Dieu nous donne sa Vie et nous L’accueillons et La faisons vivre en nous. Nous posons au niveau spirituel l’acte de consentir à la grâce d’intimité avec Lui. Cette intimité échappe en partie à notre conscience et à notre ressenti. Ce qui se passe dans la partie profonde de notre être est l’œuvre de Dieu, son œuvre d’art.

– le niveau psychologique : Dieu nous transforme mais son rythme, c’est le notre, celui de notre liberté qui accueille ou non cette transfiguration. C’est la patience de Dieu qui consent que sa radicale et fulgurante puissance de vie doit se déployer dans une lente maturation. Ce qui se transforme au niveau essentiel de notre être vient irradier tout notre psychisme, par la grâce de notre propre consentement, par l’effort de notre raison quand elle est au service du travail que Dieu fait en nous, et parce que nous choisissons la vie radicalement dans l’adhésion de notre volonté à celle de Dieu.
– niveau du corps.
Le corps a son propre rythme. Il est comme un fusible, une parole qui dit, qui crie et qui consent au réel. Il est celui qui ramène au temps, il est « prise de terre » qui nous oblige au réalisme, qui nous reconnecte avec la matière dont nous sommes pétris.

A chacun, il est proposé d’accueillir et de vivre la bonne nouvelle du Salut à partir de sa propre histoire, dans la réalité de sa vie, avec ses dons mais aussi ses limites et même ses handicaps.