Dimanche 19 mai 2019

Homélie du père Bernard-marie Geffroy


En une toute petite phrase, on trouve cinq fois le mot « glorifier ». Étonnant ! Nous sommes dans le discours d’adieu de Jésus à ses disciples. Il part vers l’humiliation de la croix. Comment concilier gloire et croix ? Un autre mot revient sans cesse. C’est le mot « aimer ». Le secret de Jésus qu’il livre à ses disciples, ce sont ces deux mots en tension et en dialogue. La gloire de Dieu et son Amour nous sauvent jusque dans la plus profonde déréliction, jusqu’à l’extrême humiliation de Jésus dans sa Passion qui est en fait la nôtre. Comment comprendre cela ? A une époque, une expression d’un commentateur m’avait aidé à mieux saisir ce mot de gloire. Il expliquait la gloire de Dieu comme le rayonnement de son Amour divin. Gloire comme rayonnement de l’amour. Je vois maintenant dans cette expression quelques limites. Le mot gloire traduit le mot hébreux Shekinah. La Shekinah dans le premier Testament exprime surtout l’impressionnante densité de la puissance de Dieu. Quand l’homme s’en approche, il est terrifié. La Shekinah est donc l’écrasante transcendance de Dieu.

 » Maintenant, le Fils de l’homme est glorifié » déclare lors de ses adieux Jésus à ses disciples. Dire cela à ses trois apôtres Jean, Jacques et Pierre juste après la Transfiguration nous aurait moins surpris. C’est dire que la lumière entrevue au mont Thabor est aussi présente mais enfouie dans l’humiliation de la Passion. Où est la puissance de Dieu, sa gloire au calvaire ? N’est-ce pas plutôt l’impuissance ? L’impuissance de Jésus n’est-elle pas aussi l’impuissance de Dieu dans la souffrance de du monde, dans le scandale de la souffrance innocente.
Une personne que j’accompagne a crié cela au cœur de la prière. Dans sa supplication à Dieu, elle l’appelle mais lui reproche aussi son impuissance : « Seigneur Jésus-Christ vient mais je sais que tu ne peux ou ne veut rien faire ». Elle ne disait pas cela dans le dialogue que nous avions eu juste avant. C’est dire que dans la prière, quand le mental s’efface quelque peu pour laisser s’exprimer le cœur profond, l’incompréhension peut se dire au cœur même de la supplication. Nous sommes loin de cette phrase de St Irénée :  » la Gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! » Je ne sais ce que le Seigneur peut répondre à cette femme qui le met au défi de venir essuyer ses larmes. Etait-elle prête à entendre une réponse ? Derrière l’apparente impuissance de Dieu sur la croix, une immense compassion.

La toute-puissance de Dieu s’efface par amour. Cependant, elle ne nous laisse pas seule. Dans le texte de l’évangile que nous méditons ce dimanche, Dieu trouve sa gloire dans sa manière de dire son amour. « Tu sais je comprends ta souffrance. Sur la croix, Je la porte. Mets-la à distance en contemplant à travers mes souffrances combien je t’aime. Mon amour est tel que je ne fais pas les choses à ta place, Je n’usurpe pas ta place. » La clef pour comprendre la souffrance à la lumière de la gloire de Dieu, c’est l’amour infiniment respectueux du Seigneur qui reconnaît notre propre capacité à traverser la souffrance dans son immense délicatesse. Il est là mais discret, respectueux. Sa gloire, c’est l’incandescence de son amour annoncée au chapitre 13 de l’évangile de St Jean. « Quand l’heure fut venue de rejoindre son Père, Jésus mit un paroxysme à son amour en les aimant jusqu’à l’extrême de l’amour. »

Ce qui a été livré sur la croix c’est la gloire de Dieu quand l’homme consent par amour pour Dieu qui a donné sa vie pour chacun d’entre nous, à vivre au cœur de la souffrance le consentement à son amour. Sur la croix Saint Jean dit de Jésus qu’il remit l’Esprit. Dans son dernier souffle, il livre l’Esprit. Sa gloire, c’est de nous relever dans son abaissement. Ce qu’il nous livre, c’est l’immense dignité de collaborer à notre relèvement au cœur de la souffrance, c’est de se mettre au service de notre pauvre amour capable de consentir à son amour. Notre pauvre amour, c’est la gloire de Dieu. La gloire de Dieu, c’est susciter en nous l’amour. La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, c’est à dire l’homme qui aime. Dieu agit, non dans la toute-puissance mais dans le respect infini de notre cheminement.

Père Bernard-Marie Geffroy