Dimanche 30 décembre 2019

Sainte Famille

La famille, c’est le laboratoire où l’on apprend à aimer. Pourquoi l’Eglise nous donne comme exemple la Sainte Famille ? N’est-ce pas parce que la famille est censée nous faire grandir dans notre propre capacité à aimer ?

De la famille apaisante où tout le monde se sent en sécurité à la famille tourmentée où il est difficile de se situer paisiblement, à sa juste place et jusqu’à la famille dysfonctionnelle et destructive, existe toute une palette. Quelque soit la famille dans laquelle nous avons grandi, quelque soit la famille que nous avons fondée, quelque soit la famille que nous allons fonder, quelque soit notre famille religieuse, spirituelle, paroissiale, la sainte famille est réparatrice, tout l’opposé de cette fameuse phrase de Gide ou de Bazin : « Famille, je vous hais ». Contempler la Sainte Famille, c’est la prendre comme modèle, c’est puiser, en elle, forces de construction et de réparation.

Pourtant, elle n’est pas classique du tout, cette Sainte Famille. Unique est la naissance miraculeuse de Jésus. C’est vrai que dans la bible, on trouve de nombreux récits de naissances miraculeuse : par exemple, celle de Samuel qui nous a été racontée dans la première lecture. Mais il y a aussi celle d’Isaac, Sanson, Jean-Baptiste. Ce qui est unique pour Jésus, c’est la naissance virginale par la puissance de l’Esprit.

La famille de Jésus est atypique mais soigneusement choisie par Dieu.

Marie lui a donné un corps et son amour. C’est elle qui au travers de l’enfantement mais aussi de l’éducation, en a fait l’homme qu’Il est devenu. Jour après jour, au cœur de sa vie familiale, Jésus-bébé, Jésus-petit-enfant, Jésus-enfant, Jésus-adolescent, va recevoir de Marie, ce que tout être devrait recevoir de sa mère : la tendresse, le sourire de la vie, l’exemplarité du devoir à accomplir, la délicatesse dans la vie quotidienne, la réalisation de la Parole de Dieu au travers des faits et gestes d’une femme. Dieu, en Jésus, s’est modelé comme homme sous le regard de la Vierge Marie.

Joseph, le père qui adopte cet enfant avec amour, patience et sens des responsabilités, lui donne un métier, celui de charpentier. Il lui apprend et lui fait reprendre et répéter les gestes méticuleux, laborieux de l’homme qui sculpte les matériaux, les ajuste avec précision, les fait devenir utiles et beaux.
Joseph apprend à Jésus à parler aux hommes, avec les hommes. Au travers des projets à réaliser, au travers des discussions pour le prix du travail, au travers des impatiences du demandeur, Joseph apprend à Jésus le sens de la vie parmi les hommes.

Le soir, en famille, l’enfant, l’adolescent, le jeune homme, se retrouve avec ses parents, avec ses cousins et cousines. Ils parlent, ils se réjouissent, ils s’attristent de la mort d’un proche. Ils se réjouissent lors des mariages, ils partagent les peines et les joies.

Jésus fait l’expérience de la vie de famille et par sa famille, la vie de tout son entourage.

Famille à la fois atypique mais aussi famille porteuse d’une qualité d’amour exceptionnelle.

On pourrait en rester là et contempler cette famille idéale comme un rêve impossible à réaliser. Le texte de l’évangile de ce jour vient nous mettre en garde contre une telle idéalisation.

Ah si j’étais né dans une telle famille ! Ah si je pouvais fonder ou avoir construit une telle famille !

La Sainte Famille telle que la décrit l’évangile est une famille toujours en déplacement, toujours en butte à l’adversité, toujours remise en question : naissance de Jésus lors d’un déplacement de Nazareth à Bethleem, fuite en Egypte, retour à Nazareth. Le recouvrement au temple est l’événement qui nous parle en plus d’un déplacement intérieur qui sera pour Marie et Joseph un arrachement. Les liens affectifs d’une grande intensité entre Jésus, Marie et Joseph ne peuvent être le centre de l’amour qui les unit. Les liens familiaux ne peuvent se vivre que comme une recherche incessante de la volonté de Dieu. Dans le temple, Jésus proclame que le bien infiniment précieux se trouve en Dieu lui-même. Il ne s’agit pas de nier les liens charnels mais de les donner pour que l’Amour divin les transfigure. Cette famille a Dieu et l’obéissance à Dieu pour centre et comme principe d’unité qui la tient unie plus fortement que les liens charnels entre la mère et le fils. Il est évident que Jésus dans sa fugue de trois jours ne fait pas sa crise d’adolescence. Il s’agit d’autre chose, il s’agit de relier la qualité d’amour vécu dans la sainte famille à un amour-source. Marie et Joseph sont appelés à relier leur amour à cet amour source d’où tout découle.

Le recouvrement au temple est comme une pierre d’attente à une autre contemplation que celle de la sainte famille. Après avoir contempler en la sainte famille l’écrin humain de l’amour divin, il nous faut comprendre les trois jours d’angoisse de Marie et Joseph comme l’annonce prophétique de la Passion du Christ en cette même ville Jérusalem.

Tout d’abord, il nous faut comprendre le contexte : L’enfant Jésus a disparu pendant trois jours. Comment est-ce possible ?
Après le pèlerinage à Jérusalem, les pèlerins qui partent vers le Nord se donnent rendez-vous à Ramala, à proximité de Jérusalem pour se regrouper par famille et repartir sur la route. Les cousins, frères et sœurs, oncles, tantes, proches et amis se disent au revoir et chacun part dans sa famille respective, restreinte aux plus proches.
C’est donc tard que Joseph et Marie s’aperçoivent que Jésus n’est pas parmi ses cousins et amis et ils repartent à Jérusalem le chercher, la peur au ventre. «Le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. » raconte Saint Luc.

Ce qu’il décrit juste après, c’est l’angoisse de Marie et Joseph : « Mon enfant pourquoi as-tu fait cela ? Vois ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ». La réponse de Jésus est loin d’être consolante. Jésus les invite à un déplacement : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Certes Joseph et Marie ne comprennent pas mais c’est comme une pierre d’attente pour Marie qui aura l’âme transpercée par un glaive, au pied de la Croix. L’arrachement sera alors total et accomplie la purification la plus totale. C’est cette pureté dont témoigne Marie et que Jésus nous transmet jusque dans tous les arrachements de nos vies.

Dans la Passion et la Résurrection du Christ, nous accueillons l’amour pur qui assainit l’amour humain en nous libérant de toutes velléités de puissance, d’emprise, toutes obstacles à l’amour, toutes répétitions psychologiques, tous nœuds générationnels toxiques. Cet amour pur n’a-t-il pas été déjà vécu dans la sainte famille ? Jésus fait passer Marie et Joseph de l’amour familial à l’amour universel.

Au pied de la croix, tout l’amour de Marie est transfiguré en amour universel. Jésus nous la donne comme mère universelle.

P. Bernard-Marie Geffroy