Dimanche 5 aout

Ce passage s’inscrit dans un ensemble plus vaste, celui de la section des pains, le chapitre 6 de St Jean qui va nous occuper tout ce mois d’août. Si l’Eglise interrompt la lecture de Mathieu pour insérer la lecture de ce chapitre 6 de St Jean, c’est bien que, pour elle, l’Eucharistie est sommet et source de la vie chrétienne. Pour reprendre l’adage bien connu, l’Eglise fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Eglise.

Le passage du texte d’évangile de ce dimanche fait suite aux récits de la multiplication des pains, de la dispersion de la communauté rassemblée autour de Jésus qui soudainement renvoie la foule, qui met les disciples dans la barque pour l’autre rive et qui se retire seul dans la montagne pour prier son Père. Sur le lac une grande tempête se lève et Jésus instantanément les rejoint en marchant sur les eaux. Jésus va surmonter surnaturellement la distance qui le sépare de ses disciples pour leur donner sa présence. Jésus révèle comment il va surmonter la mort, la séparation: sa mort, la mort des proches, notre propre mort, nos petites morts de tous les jours. Comment se passer de la présence de Jésus, comment se passer de la présence de tout être que nous avons aimé et qui est parti? Comment affronter notre propre mort, et toutes les petites morts de tous les jours? En marchant sur les eaux, Jésus manifeste sa victoire sur le mal, sur la mort dont les flots en furie sont le symbole. Christ piétine, domine les eaux de la mort pour donner sa présence. C’est ce qu’il fera dans sa Passion, sa Résurrection, son ascension et dans le don de l’Esprit Saint.

Cette foule rassemblée autour de Jésus le cherche. Ne serait-il pas le Messie? Quand il parlait, leur coeur s’était ouvert et le désir d’harmonie, de cohérence, de beauté, de paix et d’amour s’était réanimé. Ce Rabbi qui les avait rassemblé avait fait des guérisons, des libérations. Il avait multiplié les pains et les poissons. Ne serait-il pas le Messie? Ils avaient voulu alors le faire roi. C’est la raison de la dispersion provoquée par Jésus.
Quel Messie attendent-ils? Un Messie qui va combler leurs biens matériels, chasser les Romains, installer un monde de paix où le lion cohabitera avec l’agneau et où l’enfant jouera sans danger sur le nid du cobra? La foule a été touchée mais Jésus se méfie de leur vision et attente messianiques. Jésus n’est pas un Messie descendu du ciel pour tout arranger instantanément sur la terre. Certes, il est le Messie et il le confirme dans le passage de ce dimanche. Il est le fils de l’homme, dit-il, et Dieu a mis son empreinte sur lui. Il il est également l’envoyé. Ce sont deux titres messianiques bien connus dans l’Ecriture.
Les interlocuteurs de Jésus ont un passage à faire. Ce que Jésus va faire, c’est de les préparer à ce passage et c’est ce qu’il a anticipé avec les disciples.
La présence de Jésus, juste après la multiplication des pains et marchant sur les eaux est présence eucharistique non seulement dans l’intimité paisible et joyeuse autour du pain partagé mais aussi dans l’épreuve, dans l’angoisse de la mort. Il apaisera non seulement la tempête extérieure mais la tempête intérieure de la peur et de l’angoisse de la mort.
C’est dans la profondeur de notre coeur que Jésus, maintenant, nous fait vivre cette intimité avec Lui comme les prémisses de ce monde messianique vivant en nous et entre nous. Si nous restons à la surface de nous-mêmes la rencontre se fera dans le tourbillon de nos vies psychiques où s’agitent tous nos mécanismes de défense, les troubles et les disfonctionnements et dans le choc de nos égoïsmes.

Où est l’ère messianique tant attendu, tant espéré? Dans notre coeur profond. C’est le lieu de la nouvelle terre et du nouveau ciel. L’Esprit Saint qui a été livré dans notre coeur construit, consolide affermit en nous le monde messianique qu’il nous faut envisager comme monde intérieur ouvert sur le monde. Ce que le Seigneur fait en nous, nous peuple sacerdotal, c’est l’harmonie, la cohérence, un monde pacifié et pacifiant. Pas seulement pour notre salut mais pour le salut du monde.

Permettez moi un témoignage personnel. J’ai 20 ans. Je suis allongé sur l’asphalte, un accident de moto vient de se produire. Je suis blessé gravement et j’ai peur. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé? L’angoisse de la mort qui existe chez tout homme même si nous savons l’enfouir, la contourner, la refouler, peut ressurgir violemment à l’occasion de certains traumatismes. J’ai traversé une détresse abyssale juste avant d’être pris en charge à l’hôpital. Pas de réponse à cette angoisse, brute, à vivre seule puisque je m’étais éloigné de la foi. C’était 10 ans avant ma conversion. J’ai revécu cette angoisse de mort il y a maintenant un an et demi. Bronchite grave, obstruction des sinus, stress dû à un harcèlement au travail. Je suis réveillé brusquement privé d’air. L’angoisse de mort a ressurgi avec une très grande intensité. J’ai pris mon crucifix et je l’ai posé sur mon coeur. Non ce n’est pas un geste magique. C’est tout simplement me reconnecter à ma vie profonde. Combien d’Eucharisties et de sacrements de réconciliation depuis ma conversion, combien de moments d’intimité avec Dieu dans la prière du coeur, combien de rencontres dans le quasi sacrement du frère, combien d’intercession pour le monde qui souffre? Etc…etc… La réponse du Christ à mon cri de détresse a été sensible. J’ai pu contacter la paix qu’il mettait au plus profond de mon coeur.

Dieu change le monde en passant par notre coeur.

Le lieu où Dieu travaille, c’est notre coeur et la visée, c’est ce qu’annonce Jésus, la vie éternelle.
« Travaillez non pour la nourriture qui se perd mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle ».

Père Bernard-Marie Geffroy